mardi 2 février 2016

Jean-Marie Culot (18..-19..)


  • Préfaçons et contrefaçons belges (1816-1854) : catalogue enrichi d'une préface et de notes / par J. Culot, bibliophile bruxellois.- Bruxelles (8, rue du Commerce) : A la librairie  Fernand Miette, 1937.- 85 p. ; 25,5 cm.
    • Il a été tiré de ce catalogue cinq cents exemplaires numérotés et paraphés par l'auteur. [Exemplaire] n°436.

PRÉFACE

Les contrefaçons belges d'auteurs français de la première moitié du siècle dernier, après avoir connu le grand succès et fait couler beaucoup d’encre, étaient tombées dans le plus profond oubli.

Quelques bibliophiles d’avant-guerre ne les ignoraient pas, il est vrai, et Vicaire, dans son « Manuel de l'Amateur de livres du XIX‘ siècle » en cite quelques-unes de ci de là. En ce qui concerne Balzac, il donne, des éditions belges, une liste fort incomplète. Pour Victor Hugo, George Sand et Musset, il se borne à copier l'étude sur les éditions in-32, Laurent par Arthur Boitte et s’il reconnaît à celles-ci quelque mérite, il parle des autres de la façon la plus dédaigneuse, les taxant d’incorrection et leur refusant la moindre valeur. Cependant, par un comble d’illogisme, il lui est arrivé, parfois, de les
qualifier du titre d'éditions originales. Tel est le cas pour : « Les Deux Etoiles » par Théophile Gautier -Bruxelles, Tarride, 1848, 2 vol. in-18 (tome III. page 905) - et pour « Simples lettres sur l’art dramatique » par Àlexandre Dumas — Bruxelles, Hauman. 1844, in-18 (tome III, page 364) qui sont tout bonnement des préfaçons.

Carteret dans le « Trésor du Bibliophile romantique et moderne » adopte l'attitude de Vicaire à l’égard des éditions belges et commet la même inconséquence que lui en qualifiant d’originale
l'édition de « Les Dieux en exil » par Henri Heine - Bruxelles, Kiessling et Compagnie, 1853. un vol. in-18 - en ajoutant « Charmant petit volume peu connu, c’est un bijou littéraire » c'est aussi une préfaçon.

Bref ! à part quelques très rares exceptions, les pauvres petites éditions belges, parias de la librairie, honteuses productions des flibustiers de la littérature, étaient donc frappées d'anathème par des bibliographes d’une autorité incontestée et rejetées avec mépris des plus modestes bibliothèques,

Un demi-siècle d'ostracisme a bien failli leur être fatal, car après avoir encombré la boutique des brocanteurs, elles allaient invariablement finir leur triste vie dans la cuve aux vieilles chiffes des fabricants de papier, quand elles n’étaient pas vouées à un usage plus ignominieux encore. Malgré le tirage parfois considérable qui en a été fait, faut-il s’étonner, dés lors, de leur rareté ? Enfin, â cause de leur prix minime, ces petits livres ont été maniés pendant près d'un siècle par des mains peu soigneuses : aussi - leurs couvertures de papier mince, leur brochage fragile aidant - les trouve-t-on généralement dans un état de délabrement défiant les restaurations les plus habiles.

Je ne m'étendrai pas sur le mérite des petites éditions belges, Monsieur Vandérem, avec un talent qui n'est pas à ma portée, a établi, dans le Bulletin du Bibliophile. l'excellence des préfaçons belges. Monsieur Vander Perre a analysé, dans la même revue, toute une série de ces préfaçons particulièrement d’œuvres de Honoré de Balzac. Tous deux ont, je crois, fait l'éloge de la qualité du papier souvent employé par les éditeurs belges et des soins typographiques apportés dans l'impression de beaucoup de leurs productions. Monsieur Vander Perre a parlé des petites vignettes sur bois — parfois charmantes — qui ornent les titres et quelquefois les têtes de chapitres Il a fait dans un de ses articles la distinction entre une édition soignée mise en vente par Hauman et une édition plus commune du même ouvrage, donnée par le même éditeur pour servir de prime aux abonnés du journal « Le Politique ». Cette remarque pourrait être généralisée en ce sens qu'une démarcation bien nette doit être faite entre les éditions sur beau papier vélin fin de format généralement plus grand, d'une typographie soignée et correcte et d’un tirage plus restreint parce que vendues 2 a 3 francs le volume et les ouvrages parus en collections à bon marché — 35 à 70 centimes — d'un tirage beaucoup plus considérable, telles que la Bibliothèque économique de Wahlen — le Museum littéraire de Jamar puis Lebègue — La Galerie littéraire de Lebègue et Sacré fils — La Nouveauté littéraire de Perrichon et Tarride et les primes données par les journaux ; tout ces petits volumes étant imprimes hâtivement, avec peu de soins et sur du papier de qualité moindre. Il y a là une distinction qui n'a pas encore été faite, du moins dans un sens général et qui a cependant son importance, car la valeur d'un livre ne dépend pas uniquement de la valeur du texte : à texte égal la beauté du livre et sa plus grande  rareté sont des facteurs importants de sa valeur marchande. Cette remarque ne se justifie, pour les préfaçons, que lorsqu'il s'agit d'éditions belges parues simultanément ou à quelques jours d'intervalle ; car, dans ce dernier cas, il me semble impossible d'accorder à l'une ou l’autre édition une priorité de date et que l'on doive les considérer comme parues en même temps.

Un mot encore de la valeur marchande des éditions belges. Il me semble que si Monsieur Vanderem s'est constitué le champion heureux des préfaçons apportant ainsi un élément précieux à la bibliophilie nouvelle — et j'avoue que cette tâche était loin d'être aisée — il n'a cependant pas rompu toute attache avec l'ancienne bibliophilie et il manifeste encore une prévention excessive envers les contrefaçons. Dans un article paru en janvier 1927 dans le Bulletin du Bibliophile, reproduit dans « La Bibliophilie Nouvelle », pages 1 à 5, il dit que « vulgaires contrefaçons » elles « ne présentent aucune espèce d'intérêt littéraire, aucune espèce d'intérêt bibliophilique, aucune espèce de valeur marchande ». Qu'une contrefaçon, bien que parue quelques mois, plus souvent quelques jours après l'édition originale française ne puisse lui être comparée au point de vue valeur littéraire ou valeur marchande, je l'admets volontiers ; mais qu elle soit dépourvue de tout intérêt et de toute valeur marchande, j'estime que c'est aller un peu loin.

Un exemple : « L'Aventurière, comédie en cinq actes en vers » a paru en originale chez Hetzel 1848, in-8°. L'auteur l'a retiré du commerce et, après lui avoir fait subir d'importantes modifications — un acte supprimé — il en a donné deuxième édition remaniée chez Michel-Lévy en 1860. L’édition belge du Panthéon dramatique, 1850, in-32. au nom soit de Rozez, de Kiessling et Cie ou de Jonker frères, reproduit la première version. L'originale française de 1848 est très rare et d’un certain prix, la contrefaçon belge ne vaudrait-elle rien du tout ? Le cas est particulier, il est vrai ; mais il prouve que la question des contrefaçons demande examen.

Même dans le cas le plus banal, est-il équitable que, pour une oeuvre littéraire de valeur, l’édition originale française, souvent rare, se paie très cher et que l’édition belge, parue quelques jours après, donnant le même texte — parfois remanié dans les éditions subséquentes — soit sans aucune valeur ?

Quelle serait alors la valeur marchande d'une deuxième édition française reproduisant exactement l’originale et parue deux ou trois mois après ? Nulle ? Loin de moi, je le répète, la pensée de vouloir
donner à une contrefaçon belge la valeur de l'originale française ; mais j'estime cependant que le bibliophile qui ne pourra payer deux mille francs pour un exemplaire frais, broché avec les couvertures du « Lys dans la vallée » donnera volontiers deux cents francs pour l'édition belge, en même état, parue vingt jours après.

J'en viens maintenant à mon petit travail. Pour l'élaboration de mes notes, j'ai utilisé principalement: le Manuel de Vicaire et le Trésor du Bibliophile de Carteret, cités plus haut ; le Catalogue Général de la librairie française de Lorentz ; La France littéraire de Quérard ; La Littérature française contemporaine de Quérard, Louandre et Bourquelot. J'ai accepté sans contrôle les dates données par la Bibliographie de la France pour la parution des éditions françaises ; quant aux dates de mise en vente des éditions belges, j'ai fait usage de la « Revue Bibliographique des Pays-Bas » éditée par De Mat, la Bibliographie de la Belgique éditée par Muquardt et les annonces insérées dans les journaux belges, pour autant que les collections fort incomplètes de la Bibliothèque Royale de Bruxelles me l'ont permis. Pour déterminer les préfaçons, j'ai fait uniquement état des dates ci-dessus, sans m'enquérir des textes. Or, ainsi que l'expose fort bien Monsieur Vanderem (Bulletin du Bibliophile. novembre 1932 - Bibliophilie Nouvelle, Tome II, page 304) une édition belge, quoique parue après l'originale française, peut néanmoins être encore qualifiée de préfaçons quand elle reproduit la version primitive parue en feuilletons ou en revue et quand cette version a été remaniée pour l'originale. Si j'avais donc pu collationner les textes donnés par les éditions belges et les originales françaises. il est vraisemblable que j’aurais été amené à rectifier plusieurs de mes notes.

Ce n'est pas sans but que je donne ces détails et mon but n'est pas de faire valoir mon petit travail ; je sais que mes notes sont souvent incomplètes et peut-être aussi ai-je commis bien des erreurs involontaires. Je voudrais simplement convaincre les bibliophiles qui s'intéressent aux petites éditions belges — et leur nombre augmente petit à petit — que les recherches bibliographiques de ce genre sont loin d'être aussi ardues qu'on le pense et réservent bien des surprises aux du livre. C'est domaine nouveau où les découvertes sont nombreuses et faciles et je conseille à tous mes confrères en bibliophilie de s'aventurer sans crainte dans ces sentiers à peine tracés ; les trouvailles qu'ils y feront auront bien plus de charme que celles que l'on croit faire dans des manuels de bibliographie connus de tout le monde. — Si j'ai fait quelques adeptes et si ces quelques notes peuvent être utiles, je serai bien payé de ma peine.

Monsieur Herman Dopp, auteur d'un ouvrage fort érudit sur la « La Contrefaçon des livres français en Belgique, 1815-1852 », Louvain,Uytspruyst, 1932, in-8°, prépare en ce moment un catalogue des contrefaçons, travail considérable, ayant nécessité déjà plusieurs années de recherches et qui constituera sans nul doute le point de départ précieux pour le bibliophile qui entreprendrait une bibliographie complète et raisonnée des petites éditions belges. Mais ceci est une autre histoire et je souhaite bonne chance à ce courageux mortel !

J. CULOT.