mardi 7 septembre 2010

Louis Lemercier de Neuville (1830-1918)


  • Les Tourniquets : revue de l'année 1861 en 3 actes et 12 tableaux avec prologue et épilogue : revue, corrigée et augmentée de plusieurs scènes, et de quatre tableaux nouveaux / par L. Lemercier de Neuville, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Figaro, le 15 décembre 1861 ; illustrations de M. Émile Bénassit, gravure de MM. Roch et Jacob.- Paris (97, rue de Richelieu) : Poulet-Malassis, éditeur, 1862.- 107 p. : ill. ; 18,5 cm.


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PRÉFACE

Avant toute chose, l'auteur remercie vivement la critique qui a traité son œuvre avec indulgence. Il est rare aujourd'hui de voir une Revue, genre de pièce, qui, nécessairement, contient des critiques bouffonnes et des appréciations futiles, aussi scrupuleusement analysée par des hommes sérieux, non animés du dé­mon de la partialité. Celui qui écrit ces lignes serait ingrat s'il essayait de relever certaines critiques de détail, mais cependant, dans de l'art, il ne peut faire autrement que de les réfuter.

On lui a reproché la forme vulgaire de sa pièce. A cela il répond comme répondait le loup au petit Cha­peron-Rouge : — « Grand'mère que vous avez de grands yeux ?C'est pour mieux voir, mon enfant ! » C'est pour mieux se faire comprendre qu'il a employé des airs connus, des locutions vulgaires, et qu'il a donné à ses personnages des noms historiques.

Les croquis fantaisistes qui accompagnent ses couplets ont été blâmés sévèrement. Pourquoi ? Le siècle actuel n'est-il pas à l'illustration ? Doré n'a-t-il pas il­lustré le Dante et les Contes de Perrault ? Ponson du Terrail ne fait-il pas illustrer ses romans ? Ne s'illustre-t-il pas lui même ? N'avons-nous pas le Monde illustré ? L'Illustration ? L'Univers illustré ? Le Charivari ? et bien d'autres ! L'auteur croit que ce reproche est tout simplement puéril, et, quel que soit le respect qu'il ait pour la critique, il ne peut s'empêcher de trouver idiotes de semblables observations.

Le personnage de TOURNIQUET a été aussi vivement attaqué. Les uns l'ont pris au sérieux, d'autres au con­traire ne l'ont considéré que comme un COMPÈRE ordi­naire.

A ceci, l'auteur répond :

Pas plus que Musset, en écrivant Lorenzaccio, ne croyait faire une pièce, qu'on jouera peut-être un jour - (ne l'espérons pas, elle est si bien jouée à la lecture) — l'auteur n'a voulu faire une œuvre possible à la scène. D'ailleurs, le Compère est bien usé, c'est une ficelle trop peu solide, pour qu'il l'ait choisie ; il a préféré ce ravissant décousu, qui est la trame de la vie humaine ; il se repent même d'avoir, pendant quelques tableaux, enchaîné, à l'aide de ce compère, des situations et des péripéties ; car, dans la réalité, ce personnage n'existe qu'à l'état latent — comme les gaz — : Le compère réel est le succès.

Enfin, — et ceci est un reproche sérieux — on a blamé l'auteur de s'être amusé avec des noms connus, et estimés ; et d'avoir, dans une forme populaire, établi des jugements plus ou moins malveillants, — littérairement parlant, bien entendu — sur des au­teurs et des artistes qui ont au contraire besoin de ré­clames ; — on a trouvé qu'il était trop jeune et trop in­connu pour s'arroger ce droit. Talma a été sifflé à Rouen par des courtauds de boutique ; mais ces courtauds de boutique étaient le public : avaient-ils tort ou raison, qu'importe ! — ils étaient dans leur droit.

C'est comme public que l'auteur se décide à publier cette revue.

Avant de clore cette petite préface, l'auteur tient à remercier les artistes qui lui ont prêté leur concours. Mademoiselle Emma Livry, dont le talent éclate si vi­vement dans le rôle de l'Allumette, mademoiselle Su­zanne Lagier, si touchante dans celui de Rigolboche. Mademoiselle Nelly, si piquante dans l'Ambrette, et ma­demoiselle Fargueil, si verte dans l'Absinthe. — Ravel dans Tourniquet est magnifique ; le rôle est tout à fait dans ses cordes. Du reste, l'éminent acteur le compre­nait si bien, qu'il est revenu exprès de Saint-Péters­bourg pour le jouer. Laferrière, dans le rôle de Mar­kowski a été plein de passion ; M. de Chilly, directeur de l'Ambigu-Comique, qui avait obtenu la permission de jouer le rôle de Jud, a bien rendu cette physiono­mie terrible et fatale ; Raynard, le désopilant bossu du Théâtre-Déjazet, a bien voulu jouer en travesti Alice la Provençale, il lui a donné tout l'esprit qu'elle n'a pas. Mais le succès a été tout entier pour Achille Ma­chanette, de l'Ambigu ; l'ami de Villemot, qui, dans un rôle de casseur de vitres comme organe, s'est révélé brillant brûleur de planches comme comédien.

Enfin, merci à toutes, merci à tous ! Avec de tels ar­tistes, l'auteur peut dire maintenant - L'avenir est à moi !

Constantinople, décembre 1861.