vendredi 5 juin 2009

Charles Baudelaire (1821-1867)


  • Amœnitates Belgicæ / Charles Baudelaire ; manuscrit inédit publié avec introduction par Pierre Dufay.- Paris : J. Fort, 1925.- 28 p. ; 25,5 cm.
    • Il a été tiré de ce volumes : 10 exemplaires sur vieux japon à la forme, numérotés de 1 à 10 ; 30 exemplaires sur papier des manufactures impériales du Japon, numérotés de 11 à 40 ; 70 exemplaires sur papier de Hollande, van Gelder, numérotés de 41 à 110 ; 400 exemplaires sur papier vergé d'Arches numérotés de 11 à 510. Exemplaire n°290.

[INTRODUCTION]

Ce manuscrit autographe et en grande partie inédit de Bau­delaire, qui, à la vente de M. Georges-Emmanuel Lang vient de dépasser la somme respectable de 13000 francs (car les frais, 19 fr. 5o % sont en plus), a déjà fait couler beaucoup d'encre.

En 1872, à la fin de la bibliographie jointe au Charles Bau­delaire. Souvenirs-Correspondances, on lisait ces deux notes énigmatiques :

Amœnitates belgicæ. — Brochure signée C. B., 1866. Détruite avant publication.

Le recueil Amœnitates belqicæ (in-8° de 16 p.) n'a pas été détruit jusqu'au dernier exemplaire, comme le suppose notre collaborateur. Il en est resté un, sur peau de vélin, auquel nous avons pu emprunter trois épigrammes pour notre appendice. Les autographes existent d'ailleurs en double, entre les mains de M. P. Malassis et de M. Charles Asselineau.

Peau de vélin imaginaire. C'était de la part de Poulet-Malassis, resté jeune de caractère, bien que la vie ne lui ait pas été clé­mente, une gaminerie que le vicomte de Spoelberg de Lovenjoul fut long à lui pardonner, si jamais il la lui pardonna, — lors de la publication des Lundis d'un Chercheur (1894), le rancunier Vicomte n'avait pas oublié.

Sur le recto de la première feuille de garde du manuscrit, cette note signée des initiales A. P. M., contredit en effet, celle du Charles Baudelaire, et, reproduite en partie dans le cata­logue Noilly, avait en 1886, provoqué la mauvaise humeur de AI. de Lovenjoul :

Amœnitates belqicæ, épigrammes contre la Belgique, iné­dites moins :

Venus belga, imprimée dans le Nouveau Parnasse satyrique du XIXe siècle, 1866, et dans le livre Charles Baudelaire ; Sou­venirs-correspondances, 1872.

Et l'Opinion de M. Hetzel sur le faro, et les Belges et la lune, imprimés dans ce dernier volume.

20 pièces autographes.

Ce recueil n'a jamais été imprimé ; bien que j'aie dit le contraire dans le livre Charles Baudelaire (p. 184). C'était pour faire de la peine au bibliographe belge le vicomte de Spoelberg (sic), et lui faire désirer, en vain, ma vente après décès.

L'ancien éditeur et ami de Baudelaire est mort à Paris, le 11 février 1878, et, à sa vente, M. J. Noilly se rendit acquéreur du précieux recueil, d'où, sur fond rouge, son monogramme au-dessus de l'ex-libris de Auguste Poulet-Malassis, sur le plat intérieur de la plaquette.

Les Amœnitates figurèrent, comme il a été dit, en 1886, dans cette bibliothèque, lorsque furent dispersées les curiosités romantiques dont le catalogue forme un véritable complément à la Bibliographie d'Asselineau. Depuis, il passa, sans doute, en diverses mains : on en avait perdu la trace. M. Jacques Crépet, sous un titre dont l'exactitude laissait à désirer, Amœnitates belgiæ et non belgicæ, fit passer dans l'Intermédiaire des chercheurs et curieux du 10 décembre 1907, une question demeurée sans réponse ; on ne savait pas ce qu'il était devenu, et ce ne fut pas sans un soupir de soulagement, de l'étonnement pour la plupart, auquel se mêlait presque de l'émotion, qu'à la veille de la vente de M. Georges-Emmanuel Lang, on apprit que le manuscrit disparu allait y figurer. Que l'aimable biblio­phile, si affable, si accueillant, qui savait faire avec une grâce parfaite l'honneur de ses livres à qui les aimait, reçoive ici l'expression de la sincère gratitude de tous les baudelairiens. Ils lui doivent d'avoir pu manier et dépouiller l'insigne rareté.

Le recueil formé par Poulet-Malassis se compose, sous un cartonnage à la bradel, 1/2 toile brune, de 18 feuillets de papier écolier, 166 x 266 millimètres, y compris 2 feuillets blancs, tant au commencement qu'à la fin. Au recto des 14 autres et sur un verso, contenant la variante de six vers, sont légèrement collés les autographes de Baudelaire, écrits, tantôt sur papier bulle, tantôt sur papier à lettres, blanc et quelquefois bleuté. Ce ne ne sont pas des originaux, mais des copies, établies de l'écri­ture fine et soignée que l'on sait : l'A majuscule revêt une parti­culière élégance et dénote, à première vue, les aspirations artistiques du poète, cependant que, fortement appuyés, les points des i trahissent sa sensualité.

En dehors des variantes, quelques ratures — derniers scru­pules de l'écrivain — indiquent des corrections généralement heureuses. Ainsi, Baudelaire avait écrit Venus belgica : il a rayé belgica et lui a substitué belga.

Depuis la note de Poulet-Malassis, six pièces : La propreté des demoiselles belges, Une eau salutaire, Épigraphe pour l'atelier de M. Rops, fabricant de cercueils à Bruxelles, Un nom de bon augure, L'esprit conforme (une pièce sur deux) et La civilisation belge, ont été publiées par M. H. Kistemaeckers dans sa nouvelle édition du Nouveau Parnasse satyrique du XIXe siècle (1).

Treize pièces restent donc inédites, faisant abstraction de l'Amateur des Beaux Arts en Belgique, dont M. François Montel a divulgué le texte, moins le titre et les variantes, dans le supplément littéraire du Figaro du samedi 12 décembre 1925.

Ce sont :

La propreté belge, La Nymphe de la Senne, Le Rêve belge, L'Inviolabilité de la Belgique, Epitaphe pour Léopold 1er, Epitaphe pour la Belgique, L'Esprit conforme (une pièce), Les Panégyriques du Roi, Le mot de Cuvier, Au concert, à Bruxelles, Une Béotie belge, La mort de Léopold 1er (deux pièces).

Pris de scrupule l'éditeur belge avait cru bon d'accompagner de cette glose la publication des pièces que contenait le Nouveau Parnasse :

Toutes ces pièces sont datées de Bruxelles et sont des satires contre la Belgique.

Il est permis de croire que lors de son séjour en Belgique, Baudelaire n'est jamais sorti de Bruxelles, et qu'il entend désigner par « Belges », ce qu'il aurait dû nommer tout simple­ment « Bruxellois ».

Le Bruxellois, en effet, fait tache en Belgique, et on trouve rarement chez lui les nombreuses qualités qui font l'ornement de ce petit pays. — Le Bruxellois est paresseux, ignorant, inso­lent, ivrogne, royaliste et militariste ; c'est une ville relative­ment pauvre, et ce qu'on y voit étalé n'est que du clinquant comparé au bien-être et aux richesses solides des autres villes belges. Ce qu'écrit donc Baudelaire est partiellement vrai, en tant que ses écrits s'adaptent à Bruxelles bien entendu, et en tenant compte de l'exagération inhérente acceptée pour tout ce qui est satire. Pourtant, l'écrivain a dû écrire ces pièces sous l'inspiration d'un esprit chagrin et aigri par la proscription, le tout mêlé à une dose passablement forte de chauvinisme ; sinon il n'aurait pas parlé de la propreté douteuse (?) des demoiselles belges. Car il est de fait qu'en général, ces dames peuvent rendre des points à la propreté française. On conseille aux nationaux français de venir s'en convaincre en Belgique. Même observation concernant la beauté physique des Vénus belges — les belles flamandes et les jolies liégeoises ont une renommée qui dépasse les frontières françaises, et les peintres de Paris ne sont pas dégoûtés d'y venir chercher leurs modèles. Les Vénus de Parot sont brossées d'après une belge. C'est une flamande qui a posé pour la Vérité de Lefebvre, etc., etc.

Ce qui nous confirme dans l'idée que Baudelaire n'a eu devant les yeux que des Bruxellois, c'est qu'il parle de Faro. Or, cette bière indigeste et malsaine ne se brasse et ne se boit qu'à Bruxelles. Nulle part ailleurs dans le pays elle se débite.

Il est regrettable que le poëte n'ait point eu l'occasion de visiter la véritable Belgique, ses satires n'auraient eu qu'à y gagner et la réputation des Belges de même. Il aurait, n'en doutons pas, retracé les côtés typiques de l'activité fébrile des Anversois, de la sobriété et de la persévérance des Gantois, du caractère loyal et travailleur du Wallon et du Borain, et enfin de l'amabilité et de l'intelligence de cette bonne ville de Liège qui peut revendiquer posséder en son sein toutes les qualités du Français — sans en avoir les défauts.

Que nos amis belges — écrivai-je à mon tour, en 1917, avant de joindre ces pièces en appendice, à mon édition des Fleurs du Mal — se montrent aussi larges que leur compatriote H. Kistemaeckers, qui avait recueilli dans son Nouveau Parnasse Satyrique, ces pièces exemptes d'aménité. Elles ne sauraient faire suspecter en rien l'affection que nous leur portons.

Surtout, qu'ils n'en veuillent pas à Baudelaire, qui n'avait connu que la petite Belgique et ne soupçonnait pas la « grande Belgique », de ces épigrammes plus amusantes que méchantes, écrites par un malade que tout crispait et dont la solitude et la gêne exacerbaient les nerfs.

La ville de Bruxelles ne lui avait pas été hospitalière et il y avait cruellement souffert.

Ces vers n'ajoutent rien à sa gloire. Mais, maintenant qu'il est permis de publier un texte intégral des Fleurs du Mal, une édition serait incomplète qui ne ferait point connaître, en marge des plus beaux poèmes de Baudelaire, l'ironiste parfois cruel et souvent injuste, comme tous les ironistes, que laissait deviner l'amertume de sa bouche.

Je ne puis que renouveler ces objurgations auprès de nos amis de Belgique. Ces pièces, je le répète, n'ajoutent rien à la gloire de Baudelaire, et j'eusse préféré pour ma part, qu'il n'eût point écrit ces choses. Ses plaisanteries, touchant la pro­preté des demoiselles belges et leurs « avantages » plastiques pouvaient faire sourire ; par contre, ses attaques contre la Belgique et son roi, nous apparaissent inutiles et maladroites, et à tous, après 1914, après la chevaleresque attitude d'Albert Ier et de la reine des Belges, après le courage et l'abnégation montré par l'armée et un peuple tout entier, une pièce comme L'Inviolabilité de la Belgique, paraîtra particulièrement odieuse.

Un moment, j'ai songé à la supprimer, mais une publication doit être complète ou ne pas être. Le souci de la documen­tation l'a donc emporté. Toutefois, à nouveau je les en conjure, que nos frères de Belgique, qui, eux aussi, aiment et admirent Baudelaire, ne lui en veuillent pas de ces petitesses, de ces injures qui ne sauraient les atteindre et que, pas un instant, ils ne doutent de notre affection et de la reconnaissance que leur ont vouée tous les cœurs français.

PIERRE DUFAY.

(1) Le Nouveau Parnasse satyrique du XIXe siècle, pour faire suite au Parnasse Satyrique. — Edition revue, corrigée, complétée et augmentée de nombreuses pièces nouvelles et inédites. A Bruxelles, avec l'autorisation des compromis (Bruxelles, H. Kistmaeckers), 1881 ; in-8, de 284 p.- Frontispice de Félicien Rops. en sanguine et en noir. Tiré à 175 exemplaires sur papier vergé.