jeudi 11 décembre 2008

Gabriel Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues (1628-1685)


  • Lettres d'amour de la religieuse portugaise / [Guilleragues ; introduction par H. de Vibraye] .- Paris (34, avenue Montaigne) : Emile Hazan, 1933.- 59 p. ; 19 cm.
    • Le tirage de cette édition a été limité à deux mille exemplaires sur vélin royal de Vidalon, numérotés de 1 à 2000. Il a été tiré en outre trente exemplaires hors commerce numérotés à la main de I à XXX. Exemplaire n°1859.

INTRODUCTION

Les hasards d'une lecture sur les campagnes de Louis XIV me firent rencontrer récemment le nom de Chantilly. Je cherchai dans un dictionnaire ce qui l'avait illustré et voici ce que je trouvai : « Chamilly (Bouton de), ancienne famille bour­guignonne.... Celui des Comtes de Chamilly qui mérite d'être cité plus particulièrement est le maré­chal de France, Noël Bouton, Comte de Chamilly, né en 1636, mort en 1715. Il se distingua dans la guerre de Portugal et de Hollande... Il occupe éga­lement une place dans l'histoire littéraire par la passion qu'il inspira à une religieuse portugaise Marianna Alcaforado, laquelle lui écrivit des lettres qui passent à juste titre pour des chefs-d'œuvre ».

Et aussitôt me réapparut un petit livre, dont le dos fauve et or portait ce titre en abrégé : RELIG PORTUG et que j'avais emprunté jadis à la bibliothèque familiale.

C'étaient les Lettres de la Religieuse por­tugaise dont les déclarations passionnées m'avaient frappé, mais déçu, car j'avais espéré trouver là des détails curieux sur la vie des couvents d'autrefois. De savoir que le destinataire de ces lettres avait réellement existé, excita de nouveau ma curiosité et je me mis en devoir de rechercher le petit volume... Ce fut en vain ; la main pieuse d'une vieille tante avait jugé dignes du feu les lettres d'amour d'une religieuse...

En attendant de me procurer une édition quel­conque de ces lettres, je m'adressai à celui qui donne toujours un portrait vivant de ses contenporains, Saint-Simon, dont je feuilletai les Mémoires. Voici ce que je lus sur M. de Chantilly : « Il avait servi avec réputation en Portugal et à Candie. A le voir et à l'entendre, on n'aurait jamais pu se persuader qu'il eut inspiré un amour aussi déme­suré que celui qui est l'âme de ces fameuses Lettres Portugaises, ni qu'il eut écrit les réponses qu'on y voit à cette religieuse. Entre plusieurs commandements qu'il eut pendant la guerre de Hollande, le gouvernement de Graves l'illustra par cette admi­rable défense de plus de quatre mois... (Madame de Chamilly) était une personne singulièrement accomplie... C'était une vertu et une piété toujours égales dès sa première jeunesse, mais qui n'était que pour elle : beaucoup d'esprit et du plus aimable et fait exprès pour le monde, un tour, une aisance, une liberté qui ne prenait rien sur la bienséance, la modestie, la politesse, le discernement et avec cela un grand sens, beaucoup de gaieté, de la noblesse et même de la magnificence, en sorte que toute occupée de bonnes œuvres, on ne l'aurait crue attentive qu'au monde et à ce qui y avait rapport. Sa conversation et ses manières faisaient oublier sa singulière lai­deur : l'union entre elle et son mari avait toujours été la plus intime. C'était un grand et gros homme, le meilleur homme du monde, le plus brave et le plus plein d'honneur, mais si bête et si lourd, qu'on ne comprenait pas qu'il put avoir quelque talent pour la guerre. L'âge et le chagrin l'avaient approché de l'imbécile. Ils étaient riches, chacun de leur côté, sans enfants. »

Voilà, me dis je, un brave militaire qui a pu être assez bel homme en sa jeunesse ; son mérite sort de l'ordinaire ; une femme intelligente, bonne, riche et laide, dont il n'a pas eu d'enfants, l'a aidé à faire une belle carrière. Ils sont un excellent ménage. Ce guerrier n'a rien d'un Don Juan et pourtant par deux fois Saint-Simon cite ces Lettres portugaises et l'extraordinaire amour que Chamilly y fit naître dans le cœur d'une religieuse.

Il fallait vraiment retrouver ce livre que j'avais autrefois distraitement parcouru. Mon libraire me procura une petite plaquette éditée par Grasset en 1910 où je relus, cette fois avec délices, ces lettres, fameuses au dire de Saint-Simon. Or cette édition est épuisée, difficile à trouver. Il nous sembla oppor­tun de présenter une fois de plus ce chef-d'œuvre au public. C'est ainsi que naquit l'idée de la pré­sente édition.

Chamilly avait eu l'indélicatesse de montrer les lettres qu'il avait reçues à un certain Pierre de Guilleragues qui les traduisit et les fit imprimer chez Barbin en 1669. Le succès fut tel que les édi­tions se succédèrent jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, et qu'on publia des réponses (dont parle Saint-Simon) apocryphes aussi bien que de nouvelles lettres qui suivirent les premières.

Un exemplaire des Lettres Portugaises, trouvé en 1810, donnait le nom de leur auteur, Marianna Alcaforado, et celui du couvent, Béja en Alem Tejo.

Marianna appartenait à une famille de bonne noblesse ; mise au couvent des Franciscaines pour son éducation, elle y avait pris le voile. Les cou­vents abritaient alors une population de jeunes et très vivantes personnes qui y menaient une vie assez agréable et très libre ; elles étaient autorisées à recevoir des visites. Les jeunes gens en profitaient : il s'y nouait bien des intrigues amoureuses qui aboutissaient parfois à des enlèvements.

Or, en 1661, Louis XIV envoya en Portugal des troupes françaises commandées par Schomberg pour combattre l'Espagne. Les opérations se déroulèrent dans le Sud et les troupes campèrent en 1665 à Béja, où était un couvent dont la terrasse domi­nait la plaine. C'est de là, qu'au cours d'une parade, la jeune religieuse aperçut Chamilly pour la première fois. Puis il vint au couvent. A trente ans, sa jolie tournure fit passer par-dessus son manque d'esprit. Ils s'aimèrent... Mais en 1668 fut signée la paix d'Aix-la-Chapelle et le futur maréchal rentra en France, promettant de revenir bientôt...

C'est alors que Marianna Alcaforado écrivit les admirables lettres.

Nous n'en ferons pas la critique. Quiconque les aura lues, les relira, tant elles sont émouvantes d'ardeur, de tendresse, de passion. Les sentiments dépeints avec vivacité sont cependant analysés avec calme. Ces lettres touchent d'autant plus que l'amante se rend compte de sa folie ; elles sont les cris d'un coeur déchiré mais lucide.

Nous donnons les Lettres Portugaises dans l'ordre de l'édition de 1669 bien que la quatrième semble devoir être l'une des premières.

H. DE VIBRAYE.