mercredi 19 novembre 2008

Petrus Borel (1809-1859)


  • Le Trésor de la Caverne d'Arcueil / Petrus Borel ; prélection de Aristide Marie.- Paris (9, galerie de La Madeleine) : La Connaissance, MCMXXVII [1927].- 96 p. ; 20 cm.- (Le Rayon du Mandarin ; 2).
    • Le Rayon du Mandarin est une collection de volumes littéraires, établie pour le plaisir des Lettrés et Bibliophiles, par René-Louis Doyon, mandarin, et imprimée sur la maquette et par les soins de Charles Nypels maître-imprimeur à Maastricht (Holl.). Chaque volume comprend une prélection inédite. Chaque série comporte sept volumes qui sont tirés à 30 exemplaires sur papier van Gelder Zonen et 600 exemplaires sur vergé teinté de G. H. Bührmann. Le présent volume : Petrus Borel, Le Trésor de la Caverne d'Arcueil, dont la prélection est de Aristide Marie, fait partie de la première série sous le n°II. Exemplaire justifié : 344.


PRÉLECTION DE ARISTIDE MARIE


LES mânes irrités du Lycanthrope trouveront sans doute quelque apaisement en cette tardive exhumation de son œuvre. Après les Rhapsodies et Champavert, naguère réimprimés avec luxe par la Force Française, voici qu'aujourd'hui prend place, parmi les proses de choix dont René-Louis Doyon a composé son Rayon du Mandarin, un conte inédit de Pétrus Borel. Certes l'ombrageux poète ne saurait se méplaire en telle compagnie ni désavouer un classement de son texte sous cette rubrique, com­plaisante.

Mandarin littéraire, il se dresse, en effet, en dépit de la carmagnole du lycanthrope. Mais captif de la légende qu'il contribua lui-même à fortifier, on ne le voit guère, encore à présent, que sous le masque de Champavert, hérissé des truculences du "bousingo". Longtemps, de même, on ne jugea de son œuvre que sur ses paroxysmes et ses invectives, ses bizarreries d'orthographe et ses néologismes audacieux. Il fallut, plus tard, la voix de Baudelaire pour révéler, à tra­vers les sarcasmes de ce pessimisme agressif, le fana­tique de lettres dont les excès se relèvent de bonds fulgurants et de majestueux coups d'ailes. Le lycan­trope à la muse jacobine, le disciple de Saint-Just au glaive exterminateur, le "saint-simoniaque" du Camp des Tartares nous doit rester un aristocrate quand même.

Non cependant qu'il faille lui attribuer cette ascen­dance nobiliaire revendiquée par un de ses frères, André Borel, lequel voulut décorer son nom de la particule d'Hauterive. Nous avons ailleurs établi de quelle ancestrale roture procèdait le poète des Rhap­sodies. Ainsi devons-nous redresser la légende, accré­ditée par Jules Claretie, sur la foi du même André Borel, qui fait de son père un noble dauphinois, descendu de son manoir familial pour se mêler à la résistance que des partisans lyonnais opposaient aux troupes révolutionnaires. Un état-civil et une généa­logie des plus authentiques attestent en effet que ce père était un simple marchand "clinquailler", qui tenait boutique à Lyon, au numéro 24 de la rue des Quatre Chapeaux. C'est là que naquit, le 30 juin 1809, Joseph-Pétrus, douzième des quatorze enfants d'André Borel et de Marguerite Garnaud, son épouse.

Il ne sied d'introduire, dans le cadre de ces notes liminaires, une complète biographie de Pétrus Borel. Nous en avons précédemment (1) déduit les particu­larités et simplement convient-il ici d'en résumer les phases essentielles. Histoire douloureuse, à la vérité, où nous voyons une nature généreuse, mais atteinte d'une incurable morosité, un caractère d'Alceste om­brageux, que sa misanthropie expose, à travers une série de heurts et de mécomptes, à l'épreuve d'une vie entière de marasmes et de guignons. S'y révèle encore un tempérament d'écrivain dont l'originale vigueur et les pathétiques élans sont trop souvent gâtés par les exagérations d'une fougue mal réglée, qui, çà et là, le font choir en de regrettables fautes de goût et de mesure. Il appartient bien à la lignée de ces maîtres maudits que Baudelaire nous montre, portant un stigmate funeste dans les plis sinueux de leur front. Tel déjà le voit-on apparaître, vers 1830, dans les jeunes cénacles romantiques, beau, grand, avec ce visage pâle que Théophile Gautier nous peint, "illuminé de ces yeux brillants et tristes d'Abencérage rêvant à Grenade." Il a déjà fait l'expérience du malheur, dans l'échec d'une illusoire vocation, due à l'erreur d'un père, qui, voulant le pourvoir d'un mé­tier, a fait de lui, à seize ans, un apprenti architecte. Placé dans l'atelier de Garnaud, un de ses parents maternels, il a senti bouillir ses premières révoltes, devant l'art classique qu'on y enseignait et qu'il qualifie "d'ignoble pastiche de l'architecture butorde de Pœstum et d'Athènes, glacée, nue, rabâcheuse". Ayant ouvert lui-même, en 1829, une échoppe d'ar­chitecte, il s'est heurté, voulant bâtir à sa guise, aux critiques d'une clientèle mesquine ; il s'est attiré des procès qui ont tourné au désastre. Une légende veut qu'à sa quatrième maison, outré des reproches de son dernier client, il ait pris l'héroïque parti de démolir l'édifice... Réduit de la sorte à un entier dénûment, il a délaissé l'architecture, et pendant quelques mois, on le voit dessiner dans l'atelier de son ami, Eugène Devéria. Mais il était dit que l'architecte renoncé ne trouverait davantage sa voie dans la peinture. La muse, qui depuis longtemps le tourmentait, s'est sou­dain réveillée, ardente, batailleuse. C'est elle qui déci­dément triomphait, qui lui montrait la voie orageuse et magnifique, la seule arène où son tempérament de rhéteur indomptable pût se manifester à l'aise. Il va donc la suivre, les pieds saignants, non sans de longs intervalles de léthargie, pendant plus de trente ans. C'est à elle, que, proche la dernière étape de son calvaire, il sourit encore comme à l'illusion suprême qui a fleuri sa vie désenchantée :

C'est elle qui toujours repeupla d'espérances
Mon front morne envahi par des papillons noirs,
Car elle avait alors pour toutes mes souffrances
Des soupirs et des pleurs pour tous mes désespoirs...


Or, en 1830, il n'en est encore qu'à la lune de miel, si tant est que cette image puisse convenir à l'hymen du poète morose et de la muse chagrine. Déjà il s'était montré, à la première d'Hernani, commandant une escouade recrutée dans l'atelier Garnaud, con­trastant, par son attitude glaciale et sa tenue austère, avec les accoutrements bariolés des autres combattants. Il trônait maintenant, pontife et tribun d'un groupe de jeunes poètes, affublés du nom de bou­singos, qui tous voyaient en lui "le grand homme spécial de leur bande". Ses débuts dans la littérature étaient marqués, en 1832, par un petit volume de vers, qu'il intitulait, avec une orthographe singulière : Rhapsodies. Une préface agressive en hérissait le seuil d'un cartel redomont. Répudiant les formules hésitantes dont s'accompagnent, d'ordinaire, les pré­sentations de première œuvre, il entrait en scène en escaladant les portants, en exhibant insolemment sa personnalité pléthorique. Il déclarait ne vouloir ni patrons ni modèles, "nul ne pouvait le dire son ap­prenti". Son œuvre est à lui et il n'aura rien pris à personne, pourra-t-il affirmer plus tard, dans sa Léthargie de la Muse :

Je suis fier d'avoir pû maintenir à distance
Des pacages d'autrui mon Pégase affamé
Et d'avoir su toujours pourvoir à sa pitance
Sans prendre un grain qui n'ait dans mon âme germé.


Point de dédicaces aux puissants ni de compromis­sions avec un siècle d'escompteurs et de trafiquants... Pour lui, le Poète, c'est le barde voué à l'inévitable lésine, sur qui s'acharne l'antique Nécessité, mais qui lève haut dans l'orage son front d'infrangible paria. S'il veut étaler sa "nudité", confesser sa misère, ce n'est pas sur un ton larmoyant ; les soupirs élégiaques d'un Gilbert ou d'un Malfilâtre ne sont point dans sa note ; sur son pourpoint en haillons, brille le pom­meau d'une dague bien acérée :

C'est un oiseau le barde, il doit vieillir austère,
Sobre, pauvre, ignoré, farouche, soucieux,
Ne chanter pour aucun et n'avoir rien sur terre
Qu'une cape trouée, un poignard et les cieux !...


Ce mélange de cris de passion et de révolte, de diatribes virulentes et d'âpres flagellations était agré­menté de vocables insolites et de néologismes impru­dents, relevé çà et là d'une métrique robuste et nerveuse.

L'année suivante, il ajoutait à sa notoriété de scan­dale, en produisant Champavert, contes immoraux. C'était un recueil de nouvelles, saturées de meurtres et de sang, où sa verve sarcastique s'épuisait en joyeu­setés macabres et en funèbres goguenardises. En dé­pit de ces puériles outrances et des écarts de sa fan­taisie philologique, ce volume attestait, du moins en quelques unes de ses pages, — voyez Jacques Barraou, Andrea Vesalius et Passereau, — un original tempé­rament de conteur.

Bien que soigneusement édité par Renduel, le livre n'eut guère qu'un succès de cénacle. C'est alors, néan­moins, la phase lumineuse de la vie de Pétrus, le temps où le monde doit, pour quelques années, le disputer à la solitude. Il apparaît, dans ses atours de sombre dandy, aux fêtes où la jeunesse romantique dépensait sa délirante fantaisie. Il a répudié le cos­tume du bousingo et c'est en Jeune-France qu'il se fait admirer au bal de Dumas, square d'Orléans. Mais son goût de l'outrance reparaissait bientôt, en cette fête mémorable que lui-même organisait, rue d'Enfer, une triomphale orgie où le punch circulait dans des crânes, en guise de hanaps, au milieu d'une clameur de Walhalla.

La détresse devait suivre de près. Toutes ses ten­tatives restent marquées d'un insuccès persistant. Il a fondé la Liberté, journal des Arts, publication heb­domadaire destinée à combattre l'Institut et l'art aca­démique. Ce magazine qui s'annonçait, en septembre 1832, par une préface incendiaire de Pétrus, cessait de paraître, dès février 1833. Ses articles de revue ne lui rapportent que des profits dérisoires et il n'a touché de Renduel que la minime somme de 400 francs pour Champavert. Bientôt il en est réduit à fabriquer des discours et des homélies à l'usage des préfets et des maires pour les couronnements de rosiè­res et les banquets de comices agricoles. Sa misère est telle qu'on le voit enterrer de ses mains le pauvre chien qu'il ne pouvait plus nourrir.

A défaut de l'île déserte et du Missouri dont il rêvait, dans sa préface des Rhapsodies, il s'est retiré dans un village de Champagne, le Baizil, près de Montmort : là, vêtu d'une souquenille de toile à voiles et chaussé d'énormes sabots, il gîte dans une cabane de hourdis d'où il ne sort, dit-il "que pour glaner sa nourriture dans la campagne". Pendant trois années, il s'y acharne à la confection d'un roman, sur lequel se fonde sa suprême espérance. C'est Madame Puti­phar, histoire pessimiste, tissée d'épisodes sanglants où toujours l'innocence et la vertu sont sacrifiées à la haine et à l'esprit de vengeance, œuvre de marasme qui porte le reflet de sa douloureuse gestation. Il en a cependant ciselé le fronton d'un prologue lyrique d'une sombre grandeur, où se perçoit l'écho de cette infortune shakespearienne. Il y prélude aux fluides accords de ce tercet mélancolique :

Une douleur renais pour une évanouie :
Quand un chagrin s'éteint c'est qu'un autre est éclos ;
La vie est une ronce aux pleurs épanouie.


Puis en mètres rigides, mêlés de sonorités écla­tantes, il y symbolise sa détresse dans l'assaut de trois cavaliers rivaux, artisans de son tourment : le Monde, la Solitude et la Mort. Il se rencontre en ce poème une rareté d'images, une préciosité de termes, qui en feraient une œuvre maîtresse, si une verve redondante ne s'y attardait parfois dans la pléthore du développement. En cette alternance d'évocations brillantes et macabres, dans ce tournoi funèbre de la Beauté et de la Mort, on croit surprendre comme une annonce très voisine du lyrisme baudelairien.

Or la malchance qui s'attache à toutes les entre­prises de Pétrus ne doit pas épargner Madame Puti­phar. Jules Janin la flétrit, sans mesure, dans son feuilleton des Débats, et le livre, qui avait été cédé à l'éditeur 0llivier, moyennant 200 francs, ne ren­contra que le dédain. Désespérément cependant, il s'efforce encore de combattre le sort contraire. Pour affirmer sa haine de la vie sociale et son aspiration vers la solitude, il entreprend, pour son frère, l'édi­teur Francisque Borel, une traduction de Robinson Crusoé; il donne au Livre des Cent et Un un article sur l'Obélisque de Louqsor, qu'il décore du titre de pamphlet ; puis, marquant quelque trêve à ses véhé­mences atrabilaires, il édulcore sa veine, en quelques nouvelles anodines, comme Jeanniquette, Daphné, le Fou du Roi de Suède, le Capitaine François de Civile, la Famille Wakefield, Miss Hazel... Son humeur bur­lesque et sa fantaisie macabre reparaissent toutefois en ces deux morceaux qu'il livre à Curmer, pour son édition des Français : ce sont le Croque-Mort et le Gniaffe, dont le premier est pour l'intraitable Pétrus le sujet d'un différend avec Curmer, que finalement dénoue l'intervention de Balzac. Entre temps, il oc­troie son tribut à la Muse, au moyen de trois sonnets et de deux poèmes sur l'Amour et sur l'Art. Enfin son goût des histoires extraordinaires lui inspire deux importantes nouvelles : le Trésor de la Caverne d'Ar­cueil et Gottfried Wolfgang.

Rien de tout cela ne pouvait conjurer l'infortune de Pétrus. Vainement encore, il s'y essaie, par des entreprises qui sont vouées au même inéluctable désastre : c'est ainsi qu'il fonde en 1844, le Satan, un quotidien qui doit être un nouvel exutoire à sa bile, mais qui, au bout de deux mois, disparaît pour fusionner avec le Corsaire. Sans plus de succès, il fonde avec Deschères la Revue Pittoresque, à laquelle il adjoint, de concert avec Gérard de Nerval, une publication littéraire dénommée l'Ane d'Or, mais qui, de même que la Revue Pittoresque, n'aura qu'une existence éphémère.

Ces échecs marquent pour Pétrus Borel l'envol de la dernière illusion. Au surplus, la tourmente roman­tique est abattue et l'ère des paroxysmes est close. Or la voix du Lycanthrope ne doit bien résonner que dans la tempête ; le retour du calme plat laisse sans écho ses sonores invectives. Déçu dans tous ses espoirs, miné par la fièvre, découragé par le malheur, il peut se demander, comme au final du prologue de Madame Putiphar :

Quand finira la lutte et qui m'aura pour proie,
Dieu le sait, du Désert, du Monde ou du Néant ?


Ce fut le désert, sous la forme d'un poste d'inspec­teur de colonisation, en Algérie. Le mauvais sort devait l'y suivre. Il avait pourtant crû saisir l'ombre du bonheur, en associant à son exil une fraîche épousée. Ni cette fin bourgeoise du Lycanthrope, ni la naissance d'un fils, fruit de cette union tardive, ne suffirent à désarmer le destin. Le fonctionnaire ne se départit point de son humeur irritable : rétif à toute discipline, il formula contre ses chefs, et spécia­lement contre le sous-préfet de Mostaganem, le vicomte de Gantès, de graves accusations qu'il ne sut justifier. A deux reprises, et la dernière, définiti­vement, il fut relevé de son emploi. Il dut alors, pour nourrir les siens, se résigner au dur labeur du colon, attaché à une terre ingrate, sous un ciel implacable. Mais Pétrus, l'insoumis, ne saurait courber le front devant aucune puissance de la terre. Sa mort même affecte le symbole d'une révolte prométhéenne : alors qu'il persistait à travailler, tête nue, sous le soleil incandescent de juillet, il fut terrassé par une insolation : il n'était àgé que de cinquante ans. Ce décès fit peu de bruit ; il y avait plus de dix ans qu'il était mort pour les lettres et pour le monde. A peine quelques entrefilets de presse relatèrent brièvement que s'était éteint, dans le silence et l'oubli, ce météore éphémère du ciel romantique.

Longtemps on ne parla plus de lui. Ses restes s'étaient effacés dans le lointain cimetière de Mosta­ganem, quand une voix s'éleva pour évoquer cette mémoire délaissée, requérir de la postérité un peu de justice en faveur de ce fier méconnu. C'était celle de Baudelaire : "Qui s'en souvient aujourd'hui ? — disait celui-ci, — qui s'en souvient assez pour prendre le droit d'en parler si délibérément ? — Moi, dirai-je volontiers, moi dis-je et c'est assez !" Le poète des Fleurs du Mal ne s'est-il pas, en effet, quelque peu reconnu en lui et n'a-t-il pas recueilli l'écho du sombre accent d'Heur et Malheur ou des graves résonances du prologue de Madame Putiphar ? De longs jours encore se sont écoulés, avant que cet appel fût en­tendu. Mais à l'heure où le Romantisme semble bien avoir pris une légitime revanche, on ne saurait con­tester à Pétrus Borel la place modeste qui lui appar­tient, à côté des illustres dont il fut un instant l'ani­mateur et presque le maître. C'est aussi le temps où, après les consécrations définitives, une révision s'im­pose des valeurs moins pures, où il sied de discerner, au milieu de négligences qui rebutent les hâtives lec­tures, ces parcelles éparses où se révèlent néanmoins quelques essors de génie. Ainsi doit-il être de l'œuvre de Pétrus Borel. Sa place est sur le rayon choisi que de rares lettrés composent, à côté d'impeccables chefs-d'œuvre, par une plus attentive sélection. Il est de ceux que conservent ces éditions peu nombreuses, ré­haussées de fines typographies, telles que présentement offre la Connaissance en cette louable exhumation du Trésor de la Caverne d'Arcueil.

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Cette nouvelle, qui a presque l'ampleur d'un roman, fut publiée dans la Revue de Paris, en avril 1843. C'est un aimable spécimen de la manière assagie du Lycanthrope, une histoire habilement dosée de mer­veilleux et de réel, une aventure dont les ressorts dramatiques s'enveloppent d'une présentation pleine d'humour et de pittoresque. Certes nous sommes loin des truculences de Champavert : à peine quelques sin­gularités d'écriture ou d'orthographe rappellent ici les débauches philologiques de naguère. Avec un art plus étudié, une recherche plus attentive des procédés et de l'expression, le conteur assaisonne de vives péri­péties le tragique épisode qui forme le nœud central de son invention. A la manière âpre et dépouillée des premiers contes est substituée une narration allègre et fleurie, où tout au plus doit-on regretter quelques abus descriptifs ou maints prolixes développements. Mais ce sont là défauts communs à la plupart des romans de l'époque et le conte reste enjoué, alerte, spirituel. Encore que l'auteur nous transporte en un cachot de la Bastille, pour écouter le récit d'un pri­sonnier, — une victime de la tyrannie, il va de soi, -­celui-ci n'a rien cependant de l'âcreté des héros de Madame Putiphar. Et si Pétrus revient finalement sur le sort de ce captif, condamné pour une peu grave imprudence, à finir ses jours sous les verrous, il se borne à raconter, sans plus de virulence, avec enfin la sérénité de l'artiste. On suivra donc avec intérêt le déduit de cette histoire, où le drame affecte un tour plaisant et ironique, et dont la lecture, aidée d'une avenante typographie, ne sera pas sans agrément.

ARISTIDE MARIE.

(1) Pétrus Borel, le Lycanthrope, sa vie et son œuvre, La Force Française, 1922.