mardi 13 mai 2008

Karl Holter (1885-1963)


  • Le Parchemin / Karl Holter ; roman traduit du néo-norvégien par Judith Gérard, [introduction de Gilles Gérard-Arlberg].- Paris : Le Club français du Livre, 1948.- 254 p. ; 21 cm.-(Romans ; 26).
    • Cet ouvrage, composé d'après les maquettes de Jacques Brailes, en elzévir corps 10, et tiré sur bouffant blanc d'édition, a été achevé d'imprimer le 24 juillet 1948 sur les presses de l'imprimerie Crété, à Corbeil, et relié par Engel, à Malakoff. L'édition en tirage limité hors commerce est réservée exclusivement aux membres du Club français du Livre. Elle comprend 26 exemplaires marqués A à Z, 100 exemplaires numérotés I à C destinés aux animateurs du club et 3000 exemplaires numérotés de I à 3000. Exemplaire n°1522.

INTRODUCTION

Affirmer que certaines œuvres, à certaines époques, résument et catalysent, en quelque sorte, les tendances d'un courant ou d'une tradition littéraire, en les magnifiant et les portant à une perfection difficilement égalable, est devenu un truisme ; mais la découverte, ou plus exactement l'élévation de tels ouvrages au pinacle, n'est généralement l'œuvre que du seul temps, et le critique littéraire, jouant alors le rôle d'historien, ne fait plus que constater un fait qui l'a surpris et qu'il tentera d'expliquer ou de justifier.

Nous ne voudrions, en aucune manière, nous prendre ou nous faire passer pour prophète ou sourcier, mais l'œuvre présente qu'il nous a été donné de connaître en son original nous a paru remplir toutes les conditions et posséder toutes les qualités généralement requises pour passer à la postérité comme œuvre cruciale, exemplaire.

Le Parchemin, qu'un jury couronna en 1938 de la plus haute récompense littéraire norvégienne, semble bien, en effet, être l'aboutissement d'une tradition pro­fonde, non pas seulement des lettres norvégiennes, mais d'une forme de pensée et d'une manière d'expression, de longtemps ancrées dans la nature des courageux habitants de ce petit pays : romantisme à la fois sentimental — ou lyrique — et épique, avec, en surimpression, un symbo­lisme pittoresque dû à l'inhibition pudique d'un mys­ticisme refoulé par l'influence luthérienne.

Presque purement romanesque, cette œuvre nous ramène aux sources mêmes de l'inspiration norvégienne nationale. Par sa composition d'abord, qui peut s'apparenter à celle d'une saga ; par son lyrisme, qui puise souvent dans le fonds des légendes folkloriques ; par sa poésie, où l'amour de la nature et des bêtes que l'on y trouve n'est pas seu­lement scandinave mais proprement norvégien par cette ferveur et cette violence qu'ignorent Danois et Suédois ; par son style et sa langue enfin, sur lesquels il y aurait beaucoup à dire.

Karl Holter écrit, en effet, en landsmaal ou néo­-norvégien. Sans entrer dans des détails historiques et philologiques fastidieux, il est bon, pensons-nous, de donner quelques éclaircissements à ce sujet aux lecteurs français, qui ignorent bien souvent que la majorité des écrivains norvégiens d'aujourd'hui n'écrivent plus la même langue qu'Ibsen.

Ce n'est qu'en 19o5 que les Norvégiens obtinrent leur totale indépendance en rompant toute attache politique avec la Suède. Cette rupture donna une force nouvelle au mouvement nationaliste déjà amorcé à la fin du siècle dernier. Le norvégien classique, qui n'était en réalité, à quelques nuances de sens et de prononciation près, que le danois, sembla aux Norvégiens, ivres de leur jeune liberté, un insupportable souvenir du passé, et, peu à peu, des formes dialectales, patoisantes ou anciennes, rajeu­nies, s'agglomérèrent à la langue courante pour constituer un langage nouveau, tandis que l'écriture, résolument phonétique, achevait de couper les ponts avec le dano-­norvégien honni.

Comme pour le provençal littéraire créé par Mistral et employé génialement par lui, — les résultats ne furent pas toujours heureux ; mais certains écrivains, doués d'un goût et d'un instinct sûrs, tirèrent des effets remarquables de cet outil neuf et mordant dont ils disposaient.

Karl Holter est de ceux-là.

La traduction ne peut certes pas rendre avec une fidélité intégrale les recherches musicales ou rythmiques de certaines phrases, ni la couleur de certains mots ou expres­sions, pittoresque qui vient souvent de hardiesses gramma­ticales ou morphologiques qui sonneraient faux dans leurs équivalents français.

Cet atout que possédait Karl Holter — cette langue neuve, souple et puissante, et surtout foncièrement nationale — lui a permis de gagner à son jeu et d'écrire une œuvre qui, grâce à elle, est souvent comme un beau poème, tout en restant, non pas populaire, mais expres­sive des rêves, des élans, des amours d'un peuple.

Si le pittoresque verbal disparaît à la traduction pour le lecteur français — et il faut remercier Madame Judith Gérard de n'avoir pas tenté des équivalences dans le genre Quoi qu'c'est qu'ça ? — il lui reste un mer­veilleux roman, un vrai roman où ne manque ni l'action, ni la poésie, ni l'exotisme que nous aimons chez les auteurs étrangers, ni surtout le sens de l'œuvre bien construite et bien menée qui apparente Le Parchemin à certains chefs-d'œuvre classiques.

Gilles Gérard-Arlberg.