mercredi 30 avril 2008

Joseph Arthur de Gobineau (1816–1882)


  • La Fleur d'or / par le Comte de Gobineau.- Paris (6, rue des Saints-Pères) : Bernard Grasset, 1923.- VIII-138 p. ; 19 cm.- (Les Cahiers verts ; 27).
    • Ce vingt-septième cahier, le onzième de l'année mil neuf cent vingt-trois, a été tiré à six mille sept cent quarante exemplaires, dont quarante exemplaires sur papier vert lumière numérotés de I à XL ; cent exemplaires sur vélin pur fil Lafuma numérotés de XLI à CXL ; 6600 exemplaires sur vergé bouffant numérotés de 141 à 6740 et dix exemplaires hors commerce sur vélin pur fil Lafuma crème numérotés de H.C. 1 à H.C. 10. Exceptionnellement il a été tiré cinq exemplaires sur papier japon numérotés de A à E et quarante exemplaire sur papier hollande Van Gelder numérotés de F à AT. Exemplaire n°LIV.

AVANT-PROPOS

La première intention du comte de Gobineau avait été d'éclairer par un com­mentaire historique chacune des cinq par­ties de son drame, La Renaissance. Puis, changeant d'idée, il classa dans ses papiers les introductions qu'il avait rédigées. Pour­quoi eut-il cette intention, et pourquoi l'abandonna-t-il ? Les exégètes se sont exer­cés là-dessus. Peut-être le comte de Gobi­neau eut-il souci de relier à son système histo­rique, tout favorable aux races germaniques, une œuvre qui exalte un art, une culture latines. Et peut-être la même influence qui avait incliné son goût vers l'Italie, continuant de s'exercer, lui persuada de ne pas alourdir son œuvre, de lui laisser son allure dramatique. Tout cela est possible. Mais il n'y a là qu'hypothèses, recherches hasardeuses et assez vaines de pensées dont le comte de Gobineau n'a fait confidence à personne. Quoiqu'il en soit, voici les textes donnés pour la première fois au public français et réunis sous le titre que le comte de Gobineau avait choisi : La Fleur d'Or.

mardi 29 avril 2008

Louis Aragon (1897-1982)


  • Le Crève-cœur / par Aragon.- Paris : Gallimard, 1941.- 72 p. ; 19 cm.- (Coll. Métamorphoses ; XI).
    • Ce second tirage, sur papier de châtaignier, ainsi que l'atteste la déclaration au dépôt légal, a été limité à 3025 exemplaires, dont 25 exemplaires de presse.

lundi 28 avril 2008

Ernest L'Épine (1826-1893)


  • Histoire de l'intrépide Capitaine Castagnette, neveu de l'Homme à la Tête de Bois / E. L'Épine ; illustré de 41 gravures de Gustave Doré.- Bruxelles (21, rue de la Limite) : Goemaere, éditeur-imprimeur du Roi, 1944.- 62 p. : ill., couv. ill. ; 28 cm.
    • La couv. porte "Les Aventures de l'intrépide Capitaine Castagnette..."

dimanche 27 avril 2008

Enid Dinnis (1873-1942)


  • Le Complot magnifique : Mr. Coleman, Gentl. / Enid Dennis ; adapté de l'anglais par X. Chanthann, illustrations d'Etnest Jacobs.- Bruges : Librairie de l'Oeuvre de Saint-Charles, [1937].- 270 p. : ill., couv. ill. ; 28,5 cm.

samedi 26 avril 2008

Nathaniel Hawthorne (1804-1864)


  • La lettre écarlate / par Nathaniel Hawthorne ; traduit de l'anglais par Henry Langon ; frontispice de Ch.-Ernest Smets.- Bruxelles : Le Carrefour, 1945.- 246 p.-1 f. de pl. en front., couv. cartonnage illustré ; 17,5 cm.- (La perle et l'écrin ; 1).
    • Du présent ouvrage, premier titre de la collection "La Perle et l'écrin", il a été tiré trois mille exemplaires sur velin pelure, enrichis d'un frontispice par Ch.-Ernest Smets, livrés sous une reliure originale réalisée d'après la maquette de José Walraff et numérotés de 1 à 3000. il a été tiré en outre vingt-cinq exemplaires hors commerce marqué H. C. de I à XXV. Exemplaire n°157.


[Avant-propos]

NATHANIEL HAWTHORNE (1804-1864), que l'on a appelé « le plus grand interprète de la vie et de l'esprit de la Nouvelle-Angleterre », naquit à Salem, le 4 juillet 1804, descendant d'une famille de fermiers et de capitaines au long cours, d'origine anglaise. Privé, jeune, de son père, il grandit entre sa mère et sa sœur aînée. Sans doute cet entourage féminin ne contribua-t-il pas peu à affiner sa sensibilité. Après des études au collège de Bowdoin, où il eut pour amis le poète Longfellow et Franklin Pierce, futur prési­dent des U. S., il retourna à Salem, où il vécut douze ans solitaire, partageant son temps entre de longues promenades au crépuscule et des travaux littéraires qu'il ne publiait pas.

En 1830, l'éditeur S.G. Goodrich apprécia ses nou­velles et en inséra une dans son recueil annuel : The Token.

Plus tard, Hawthorne se mit à collaborer au Knicker­bocker Magazine, produisit diverses choses dont une histoire universelle et, avec son ami Bridge, un recueil de Twice-told tales (histoires deux fois dites) qui lui donna quelque réputation. Il travailla encore à la Democratic Review ; puis en 1839, grâce à des appuis amicaux, entra aux Douanes de Boston.

Deux ans plus tard, il perdit sa place et se retira à la Brook Farm, sorte de phalanstère socialiste selon Fourier, qu'avait fondé George Ripley en 1841. Mais il s'en alla vite et, dix ans plus tard, raconta l'histoire de cette bizarre entreprise dans The Blithedale romance.

En juillet 1842, il épousa Miss Sophia Peabody et se retira à Concord, au Vieux Presbytère, où il goûta quatre années d'un bonheur idyllique. Il a évoqué cette époque dans Mosses front an old Manse avec infini­ment de charme et une délicatesse qui fait songer à Daudet.

En 1845, il rentra aux Douanes, mais perdit sa place quatre ans plus tard. Il a raconté comment et pour­quoi dans l'introduction au roman qu'on va lire, ainsi que la façon dont il a eu l'idée de cette étrange histoire qu'est La Lettre Écarlate, et la manière dont cette œuvre s'est imposée à lui. Au printemps de 1850, elle parut. Tout de suite, ce fut un immense succès dans tous les pays de langue anglaise. Désormais, Hawthorne était une gloire internationale.

En 1852, son vieil ami Pierce était élu à la Prési­dence ; il fut nommé consul à Liverpool. Il visita l'Angleterre, puis le continent, et connut l'Italie. En 1860, il revint en Amérique, écrivit encore quelques romans qui, s'ils n'ont pas la profondeur de La Lettre Écarlate, n'en sont pas moins d'une lecture agréable et, le 24 mai 1864, mourut à Plymouth (New Hampshire). Il fut enseveli à Concord, où sont aussi les mausolées d'Emerson et de Thoreau.

*
* *

Environ 1860, il a paru en France une traduction de The Scarlet Letter, mais il y règne quelque fantaisie, singulièrement dans la façon dont le traducteur de l'époque a redistribué l'économie du chef-d'œuvre haw­thornien. L'Avant-Propos, notamment, a été tout à fait omis, ce qui enlève au lecteur le bénéfice de cin­quante pages pleines de charme, de piquant, d'intérêt, et que plus d'un bon juge serait tenté de préférer au roman lui-même. Il fit grand bruit à l'époque et valut quelques tracas à son auteur. Aujourd'hui que nous ne connaissons plus ceux qu'il évoque, nous en rions encore, car, enfin, quelque chose est-il plus éternel que la charmante incurie des fonctionnaires ?

On n'ira pas jusqu'à le préférer au roman lui-même. Il n'en a ni la force ni le mordant. Néanmoins, il serait sot de le négliger. Le roman paraît singulière­ment âpre et violent après ses cadences molles et ses évocations mélancoliques ou souriantes. Pour le lec­teur qui aura interverti l'ordre de sa lecture, il paraî­tra rafraîchissant, après les fournaises soufrées du roman.

L'ÉDITEUR.

vendredi 25 avril 2008

Maximilien Vox (1894-1974)

  • Sur les pas de Salavin avec Berthold Mahn / par Maximilien Vox ; [ill de Berthold Mahn], photographies de Jean-Louis Moussempès.- Paris (33, quai des Grands-Augustins) : Union latine d'éditions, 1944.- 66 p. : ill., couv. ill. ; 24,5 cm.
    • Aux amis de l'Union Latine d'Editions est dédié ce petit livre composé dans le culte fervent de Salavin, l'admiration pour Georges Duhamel, l'affection pour Berthold Mahn, l'amitié de Maurice Robert et le goût fidèle de la montagne Sainte-Geneviève par Maximilien Vox. Il parait en l'honneur de la publication en édition de luxe définitive d'une des grandes oeuvres de ce temps : Vie et aventures de Salavin (L'Editeur).


jeudi 24 avril 2008

Jonathan Swift (1667-1745)

  • Instructions aux domestiques suivies des opuscules humoristiques / Jonathan Swift ; traduction de Léon de Wailly, préface de Gilbert Sigaux, illustrations de Chaval et Mose.- Paris (8, rue de la Paix) : Le Club français du livre, 1958.- 221 p. : ill., couv. ill. en coul. ; 21 cm.- (Classiques ; 56).
    • Cet ouvrage, composé d'après les maquettes de Jacques Daniel en caractère Garamond corps 14 a été achevé d'imprimer le sept janvier mil neuf cent cinquante-huit sur les presses des imprimeries Paul Dupont à Paris et relié par Engel à Malakoff. L'édition, en tirage limité hors commerce, est réservée exclusivement aux membres du Club français du livre. Elle comprend vingt-six exemplaires marqués A à Z, cent exemplaires numérotés de I à C destinés aux animateurs du club et dix-mille exemplaires numérotés de 1 à 10000. [Exemplaire] n°1941.

mercredi 23 avril 2008

Théodore de Banville (1823-1891)


  • Le Baiser : comédie / Théodore de Banville ; musique de Paul Vidal, dessin de Georges Rochegrosse.- Paris (11, rue de Grenelle) : Librairie Charpentier, 1901.- 34 p-1 f. de pl. en front. ; 19 cm.

J'ai écrit cette comédie, seul avec ma chère femme, au bord de la petite rivière Abron, dans une campagne où il y a des Fées et où (comme ici, d'ailleurs) je lisais passionnément chaque jour la Forêt mouillée, de Victor Hugo. Le Baiser a été représenté, une fois unique, le 23 décembre 1887, par les artistes du Théâtre Libre, la charmante mademoiselle Deneuilly, une Fée gracieusement poétique, et l'excellent comédien Antoine, qui a joué Pierrot enfant avec la plus impeccable justesse, avec la fantaisie, la plus géniale et la plus romantique. Puis, par l'initiative de mon cher confrère Jules Claretie, la Comédie Française, avec une spirituelle générosité, a tout de suite pris son bien où elle le trouvait. Elle a représenté pour la première fois le Baiser, le 14 mai 1888. La grande famille de Molière m'a donné pour interprètes mademoiselle Reichemberg, à propos de qui le mot : Perfection, est devenu proverbial, mais pour laquelle il faudrait en trouver un autre, encore plus divin, — et Coquelin cadet, avec sa prodigieuse verve bouffonne et lyrique. Enfin, j'ai eu le bonheur de contenter mes juges, après avoir obéi fidèlement à la Rime.

T. B.

Paris, le 12 mai 1888

mardi 22 avril 2008

Jonathan Swift (1667-1745)


  • L'Art de voler ses maîtres / Swift.- Bruxelles (30, rue d'Arenberg) : Les Editions Cosmopolis, 1946.- 123 p. ; 18,5 cm.- (Feuilles oubliées ; 4).
    • 1000 exemplaires de ce livre ont été imprimés en juin 1946 pour les Editions Cosmopolis à Bruxelles, 30, rue d'Arenberg. Ceci est le n°113.

QUELQUES MOTS D'INTRODUCTION SUR SWIFT

NOUS allons retracer ici le plus succinctement pos­sible, la carrière d'un des hommes qui occupent le rang le plus élevé parmi les humoristes anglais ; un homme que vous connaissez tous, et qui, j'en suis sûr, a laissé dans vos esprits les plus agréables sou­venirs littéraires. Je veux parler de l'auteur des Voyages de Gulliver, de l'illustre Jonathan Swift. Eh bien, mes­sieurs, pour tout dire en deux mots, ce charmant écrivain que vous aimez tant, est un des plus odieux caractères que l'on puisse rencontrer ; ce railleur de toutes les flagorne­ries, est un plat courtisan ; cet homme si sensible dans ses écrits, cet homme qui, dans ses lettres, a parlé si admira­blement le langage de l'amour, a fait mourir de douleur deux femmes qui l'ont éperdument aimé, et, pour con­clusion, ce ravissant humoriste est mort complètement fou, après une vieillesse triste, hargneuse et abandonnée. Je crois qu'il serait difficile d'établir entre un homme et ses œuvres, un contraste plus frappant.

Je vous dis que Swift, l'écrivain amusant et jovial, fut un homme morose et sombre ; que Swift l'écrivain démo­crate, fut un courtisan ; que Swift, l'écrivain sublime de passion, fut un homme sans cœur. Pour vous en convain­cre, voyez sa vie.

J. Swift naît à Dublin d'une famille pauvre ; à l'école il fait le paresseux, ce qui ne prouve absolument rien. C'est autant d'activité de plus, mise en réserve pour plus tard. Mais comme il n'est bon à rien de sérieux, son oncle qui le protège, est très heureux de le faire entrer en qualité de secrétaire chez sir W. Temple, l'illustre homme d'État qui conclut la triple alliance, et qui atteignait à cette époque, l'apogée de sa grandeur. Temple lui té­moigne la plus extrême bienveillance, l'affection la plus vive, ce qui n'empêche pas Swift de le quitter de la façon la plus indélicate, en emmenant avec lui la fille de la femme de charge, la petite Stella Johnson, à qui il ap­prenait à lire. Swift a quitté son bienfaiteur avec des paroles amères à la bouche. Tombé dans la misère, il lui écrit une des lettres les plus plates qui se puissent voir, pour lui demander une place, qui cependant lui est ac­cordée. Il prend les ordres et devient ministre d'une pa­roisse. Voilà Swift en religion, vivant maritalement avec Stella, et écrivant l'Histoire du Tonneau, dans laquelle il démolit toutes les croyances. Mais cet acte d'originalité lui fait d'emblée une réputation.

Il arrive à la cour, et se met immédiatement aux gages du comte d'Oxford, qui est à cette époque le chef du ministère. « Une fois dans les salons, dit M. Thackeray, il insulte tous ceux qu'il croit ses inférieurs ; et, en fait de génie, il n'est en effet personne qui le vaille. Seulement si, restant ferme et brave devant sa supériorité, on le regarde en face, il se tait et s'en va, la queue basse, sauf à se venger dans dix ans, par quelque sale épigramme. A-t-il affaire à un grand seigneur? Oh, alors, il s'incline, il sourit, il rayonne d'esprit et se gardera bien de mor­dre. » Un mot cruel qu'il méritait bien, et que lui adressa un gentilhomme, est resté célèbre. Swift haïssait cet oncle qui avait pourvu à sa première éducation d'orphelin. Quelqu'un lui demandait s'il était vrai que ce parent eût été si bon pour lui. « Oui, répondit Swift, il m'a traité comme un chien. » — « Mort Dieu ! répondit l'autre, en frappant du poing sur une table, vous n'avez pas même la reconnaissance d'un chien ! » Et le mot était vrai. Son cœur est un vrai rocher. Voyez sa conduite envers les trois femmes qui apparaissent dans sa vie comme des anges gardiens, et à qui il a adressé tant d'adorables poé­sies.

Il est aimé d'une jeune fille nommée Jane Waryng, une vierge innocente et pure, dont il est le premier rêve. Il lui promet de l'épouser, et, à la veille du mariage, il lui écrit une lettre d'injures. Voilà un premier cœur brisé. Stella Johnson, il l'a enlevée et déshonorée, il l'épousera après seize ans, alors qu'il est, comme dit Chateaubriand, au bout de son amour. Et pourquoi l'épousera-t-il ? Il a noué une intrigue amoureuse avec Esther Vanhomrig, une belle jeune femme qui s'est éprise de son génie. La phtisie mine la santé de Stella, et pourtant il la tourmente sans cesse par le spectacle de sa passion pour une rivale. Il fait de Stella la confidente de ses relations.

Puis, quand il est fatigué d'Esther, pour s'en débar­rasser, il épouse Stella qu'il maltraitait, qu'il trahissait pour elle, et ces deux jeunes femmes succombent toutes les deux ses victimes. Comme l'a dit encore M. de Cha­teaubriand : « Swift, à l'exemple des grand poètes, n'a pas pu leur donner une seconde vie. » Il fit bien des vers sur la mort d'Esther ; mais quand on vint apprendre ce dernier trait à Stella qui se mourait, elle trouva une ré­ponse dont le cynisme même a quelque chose de navrant : « Ah ! je sais que Swift est en état d'écrire des vers magni­fiques à propos d'un manche à balai ! » Swift eut deux amis, Pope et le Dr Sheridan, deux amis de son talent et non de son cœur. Ils le renièrent tous les deux, et le plus grand écrivain qu'eût produit l'Angleterre au dix-huitième siècle, mourut fou et abandonné.

Eh bien, messieurs, comprenez-vous un homme de gé­nie avec une pareille âme ? Ne semble-t-il pas que ce soit un monstrueux accouplement, que tant de bassesse dans le cœur et tant de délicatesse dans l'esprit ? Car il faut bien le dire, ce fut un prodigieux esprit que celui-là.

Voltaire a dit de lui, dans ses lettres sur les Anglais, que c'est « Rabelais dans son bon sens, et vivant en bonne compagnie. » Chateaubriand, dans son Essai sur les Lettres anglaises, a en vain essayé de diminuer sa gloire qui en Angleterre est restée immense. Aussi dans les conférences de M. Thackeray, voit-on une singulière lutte, entre l'honnête homme qui veut juger avec des principes, et l'artiste que le beau séduit et entraîne malgré tout.

Du reste, quand je note le contraste qui existe entre la vie et les œuvres de Swift, peut-être que j'exagère un peu, et il existe de lui un livre qui est un chef-d'œuvre d'humour, mais un vrai code et de cynisme. C'est un livre intitulé : Instructions pour les domestiques.

Je le répète, Messieurs, ce livre, pris au sérieux est un vrai code d'impudence. Il renferme bien des passages qu'il est impossible de lire ici, mais en voici encore un que M. Thackeray cite en le prenant très au sérieux, et en disant que ces instructions adressées aux Frontin et aux Mascarille de tous les temps, ne sont que des rémi­niscences de la rage que Swift accumula dans son cœur, pendant le temps qu'il fut secrétaire, c'est-à-dire serviteur de William Temple.

Tout cela, dans son cynisme si parfaitement vrai qu'on ne peut s'empêcher de le prendre au sérieux. Qu'y a-t-il d'étonnant du reste à ce que les domestiques anglais aillent puiser là leur règle de conduite, alors que tant d'amoureux vont chercher des sentiments dans le Courrier des amants, ou dans le Double grand Jardin d'amour ?

Et là ne se borne pas la morale du Dr Jonathan Swift, ministre de la religion protestante. Dans Gulliver, vous savez qu'il attaque l'amour et le mariage, de la façon la plus brutale, puis, trouvant que la population s'accroît dans des proportions trop grandes, il propose de manger les enfants, en les accomodant de diverses façons, de manière à en faire des plats très appétissants.

Evidemment, messieurs, je ne vais pas ici prendre Swift au sérieux, comme cet écrivain français qui a cité ce tra­vail comme une preuve de la misère en Irlande ; mais je ne pourrai pas non plus trouver de charme dans ce déver­gondage d'esprit, qui n'a ni raison ni but, qui ne détruit aucun abus, qui ne sert aucune idée, et qui se complaît dans des excentricités sauvages, alors qu'il pourrait si utilement s'employer ailleurs. Pour trouver charmant ce morceau excentrique, il faut être au moins excentrique soi-même ; et je ne vois rien de bien attrayant dans ce détail, qu'un enfant bien gras fasse deux plats pour un repas d'amis, que pour une famille dînant seule, la partie de derrière suffise, et que, bouilli et assaisonné de poivre et de sel, le mets sera très bon, même le quatrième jour et surtout en hiver; qu'enfin, un enfant bien à point, bien dodu, pourra être vendu par sa mère 10 sh., alors qu'il n'en a coûté que 2 à nourrir, ce qui constitue un bénéfice net de 8 sh., sans compter que la peau pourra servir à faire des gants de dames et des souliers fins. Il explique ensuite comme quoi il faudra rôtir les enfants, aussitôt que le boucher les aura égorgés, comme on fait pour les cochons... Il y a vraiment de quoi soulever le cœur d'indi­gnation, et je suis bien près de croire que je me suis trompé en disant tantôt qu'il y a un contraste quelconque entre la vie de Swift et ses écrits...

lundi 21 avril 2008

Pierre Mac Orlan (1882-1970)


  • Picardie : Roman des aventures du sergent Saint-Pierre et de Babet Molina / Pierre Mac Orlan.- Paris (14, rue de l'Abbaye, 6e) : Editions Emile-Paul frères, 1943.- 281 p. : couv. ill. en coul. ; 18,5 cm.
    • L'édition originale de cet ouvrage a été tirée à cinq cents exemplaires sur Alfa anglais numérotés de 1 à 500. Il a été tiré en outre 50 exemplaires du présent, numérotés de I à L.

dimanche 20 avril 2008

Gabriel Chevallier (1895-1969)


  • Sainte-Colline / Gabriel Chevallier ; illustré de gravures sur bois par Line Touchet.- Bruxelles (163, boulevard Adolphe Max) : Editions du Nord-Albert Parmentier, 1943.- 269 p. : ill. ; 17,5 cm.
    • Tirage spécial de luxe : Il a été tiré de cet ouvrage à l'intention des bibliophiles 100 exemplaires sur gros vélin de Hollande numérotés de 1 à 100. Le numéro 1 constitue un exemplaire unique comprenant une suite unique sur japon impérial extra mince et une suite unique, en sépia, sur hollande ainsi que les bois originaux.

samedi 19 avril 2008

Lucius de Patras


  • L'Ane / De Lucius de Patras ; traduit par Paul-Louis Courier.- Bruxelles (30, rue d'Arenberg) : Les Editions Cosmopolis, 1946.- 73 p. ; 18,5 cm.- (Feuilles oubliées ; 5).
    • 1000 exemplaires de ce livre ont été imprimés en juillet 1946 pour les Editions Cosmopolis à Bruxelles, 30, rue d'Arenberg, d'après un projet dessiné par André Billen. Ceci est le n°216.

vendredi 18 avril 2008

William Hayley (1745-1820)


  • Vieilles filles : essai satirique / traduit de l'anglais [de William Hayley] par M. Sibille.- [Réimpression de l'éd. de 1788].- Bruxelles (30, rue d'Arenberg) : Les Editions Cosmopolis, 1946.- 97 p. ; 18,5 cm.- (Feuilles oubliées ; 3).
    • 1000 exemplaires de ce livre ont été imprimés en juin 1946 pour les Editions Cosmopolis à Bruxelles, 30, rue d'Arenberg. Ceci est le n°108.

INTRODUCTION

A mesure que la bienveillance éclairée et la véritable philoso­phie se sont répandues dans le monde, tous les écrivains se sont empressés de consacrer leur plume au service de l'humanité.

Plus d'un aspirant moraliste, embras­sant dans ses vues le cercle entier de la création, a cru pouvoir se rendre utile à tout le genre humain ; mais d'autres d'une ambition plus modérée, se sont contentés de choisir pour objet de leurs travaux, une classe de mortels exposés par leur situation à un genre de faiblesses, ou accablés sous le poids d'une oppression peu méritée. Un philosophe français a généreusement soutenu la cause de ces êtres infortunés que l'on désigne sous le nom d'auteurs ; et un Anglais philanthrope, par un motif égal de bienveillance, a écrit un traité sur les ramoneurs. Quelque différents que paraissent en eux-mêmes les maux que ces deux classes sont condamnées à souffrir, en les examinant de près, on trouve entre elles une ressemblance frappante, tant par l'espèce de services qu'elles nous rendent que par les mortifications qu'elles essuient. C'est le devoir d'un auteur, s'il entend bien sa profession, d'enlever ces parties noires et amères qui se logent dans le cerveau, et de donner au péricrâne de ses lecteurs le même degré d'assurance et de netteté que le balai du ramoneur procure à la maison de celui qui l'emploie. Le salaire qui revient à chacun d'eux pour l'impor­tance de leurs services, n'est nullement proportionné au profit que le monde en retire. Ils ont tous deux un sort amer ; mais l'amertume de la suie est si douce, en comparaison des mortifications qu'éprouve le malheureux obligé de tirer une subsistance maigre et précaire de l'exercice de sa plume ! On doit sans doute infiniment aux essayistes de France et d'Angleterre, pour avoir entrepris d'alléger le fardeau pesant sous lequel gémissent ces deux classes infortunées ; mais je me flatte de les avoir surpassés en consacrant mes veilles à la défense d'un ordre encore plus digne des regards et de la protection d'un philosophe : je veux dire la confrairie des vieilles filles, dont le sort, peut-être aussi dur et aussi injuste que celui des deux êtres que je viens de comparer, n'est jamais adouci par l'idée consolante qu'ont les premiers, qui, tout mal récom­pensés qu'ils sont, goûtent au moins la satisfaction de remplir dans les scènes variées de la vie, un rôle utile et nécessaire.

Nouveau Don Quichotte, je me voue tout entier au service des vieilles filles ; je m'engage à redresser les torts de la vierge automnale, et à l'élever, si possible, à un état d'honneur, de conten­tement et de plaisir. Je commencerai par quelques réflexions sur la cruauté et l'injustice du mépris satirique dont le commun des hommes se plaît à accabler les vierges surannées ; mépris dont les suites funestes, en rendant leur sort plus déplorable, sont d'abattre leur courage et d'aigrir leur caractère. Je montrerai ensuite à quels défauts particuliers leur situation les expose, et les bonnes qualités qu'elle peut donner.

En me déclarant ainsi le champion des vierges ridées, mon but est de les amuser et de les instruire; et si mes succès répondent à mes vœux, j'espère qu'elles recevront favorablement cette production destinée à leur être utile, et que mon livre pourra un jour mériter d'être appelé LE MANUEL DES VIEILLES FILLES.

Comme le bon effet d'un avis dépend presque toujours de l'estime qu'on a pour celui qui le donne, je puis, sans aucune espèce de vanité, dire un mot de ma conduite désintéressée dans la composition de cet Essai. Si j'avais à employer le temps et la peine qu'il m'a coûté, en faveur des autres membres de la Société, tels que des généraux ou des ministres disgraciés, je pourrais, quoi­qu'on pense de ce paradoxe, obtenir ou quelque bonne place ou quelque pension pour prix de mes travaux; puisqu'il semble que ce soit une maxime d'état de remettre sur le pinacle ces grands serviteurs chargés de l'exécration publi­que, et que plus ces chefs politiques se sont plongés dans l'infamie, plus il y a de probabilités qu'on pourra les revoir un jour s'élever à un degré au-dessus de celui où ils sont tombés. Or, dans le cas présent je n'ai aucun espoir à tirer d'une semblable révolution ; car quoique les personnes pour lesquelles j'écris, jouissent rarement de la faveur publique, il n'y a pas la moindre apparence qu'aucune d'elles parvienne jamais à titre admise dans les cabinets des puis­sances ou des premiers ministres de l'Europe, ou qu'elles obtiennent aucune influence sur les États-Unis d'Amérique.

jeudi 17 avril 2008

Sidonie Gabrielle Colette (1873-1954)


  • La Retraite sentimentale / par Colette ; [ill. de Robert Bonfils].- Bruxelles (7, Grand-Sablon) : Editions de la Chimère, 1922.- 185 p. : ill. ; 19 cm.
    • LA RETRAITE SENTIMENTALE, de Colette, établi par Marcel Cerf pour les "Editions de la Chimère", orné de compositions de Robert bonfils, tiré à 50 exemplaires sur papier de Hollande de Van Gelder, numérotés de 1 à 50, 150 exemplaires sur papier vergé d'Arches, numérotés de 51 à 200, et 800 exemplaires sur papier vélin du Marais, numérotés de 201 à 1000, a été achevé d'imprimer le vingt-six septembre de l'an mil neuf cent vingt deux. Exemplaire n°405.

mercredi 16 avril 2008

Ferdinand Fabre (1827-1898)


  • L'Abbé Tigrane / par Ferdinand Fabre ; avec deux dessins de Jean-Paul Laurens gravés par Ch. Courtry.- Paris (13, rue de Grenelle) : G. Charpentier et Cie, 1880.- 394 p.-2 f. de pl. ; 11,5 cm.- (Petite bibliothèque Charpentier).

mardi 15 avril 2008

Hector Malot (1830-1907)


  • Une bonne affaire / par Hector Malot ; avec deux dessins de F. Desmoulin gravés à l'eau-forte par C. Faivre.- Paris (13, rue de Grenelle) : G. Charpentier et Cie, 1885.- 397 p.-2 f. de pl. ; 11,5 cm.- (Petite bibliothèque Charpentier).

lundi 14 avril 2008

Eugène Marsan (1882-1936)

  • Les Cannes de M. Paul Bourget et Le Bon Choix de Philinte, petit manuel de l'Homme élégant suivi de portraits en référence, Barrès, Moréas, Alphonse XIII d'Espagne, Taine, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire, Balzac, Stendhal, avec une lettre de M. Paul Bourget / Eugène Marsan ; dessins d'Henri Farge, gravés sur bois par Georges Aubert.- Paris (37, rue Bonaparte) : Le Divan, MCMXXIV [1924].- XIV-262 p. : ill. ; 20 cm.
    • Justification des tirages et des éditions : la première édition de cet ouvrage a été tirée, pour former un beau volume in-16 colombier, à 60 exemplaires sur papier du Japon, 240 exemplaires sur papier de Montval, et 1200 exemplaires de bel alfa. Tous les exemplaires étant ornés de 80 dessins d'Henri Farge gravés sur bois par Aubert, les Japons et les 140 premiers Montvals contenaient en outre 5 planches hors-texte du même Farge, gravée sur cuivre par P.-Emile Leconte, dont 2 en couleur, tirées au repérage. La présente édition, qui a été revue par l'auteur, a été tirée à 2500 exemplaires, dont 5 sur papier de Madagascar des Papeteries Lafuma-Navarre. Elle est ornée de 31 dessins d'Henri Farge gravés sur bois par Aubert.



De M. Paul Bourget à l'auteur


On peut être habile
avec un point de Venise
et des plumes aussi bien
qu'avec une perruque
courte et un rabat uni.

Molière


MON CHER EUGÈNE MARSAN,

Vous êtes trop jeune pour avoir connu mon vieil ami Lovenjoul, « le Vicomte », comme l'ap­pelait d'un ton de mystère ce charmant fou d'Anatole Cerfberr, à qui nous devons ce Répertoire de la Comédie Humaine où se trouve biographié, avec Rastignac, Napoléon, Madame de Nucingen, Talleyrand, pêle-mêle, le crapaud Astaroth, « né sous Louis-Philippe », écrit scrupuleusement Cerf­berr, lequel servait à Madame Fontaine, pytho­nisse notoire, pour ses horoscopes ! Le « Vicomte » était plus raisonnable que son disciple, mais non moins passionné de Balzac. Il arrive un jour dans un salon où il m'aperçoit. Il ne salue personne et, venant droit à moi : — « Elle est en province... », me dit-il. — « Mais qui? » — demandai-je inter­loqué. — « La Canne... », répondit-il. Je ne l'interrogeai pas davantage. Il ne pouvait s'agir que de la canne de M. de Balzac, à la poursuite de laquelle Lovenjoul s'acharnait à cette époque. Depuis, il m'a été donné, à moi, profane, de la manier, cette canne dont je vous ai montré la photographie, chez la fille du docteur Nocquard, le savant médecin qui avait soigné le romancier mourant. Madame de Balzac lui avait donné cette relique. Avec quelle vénération je l'ai touchée, vous le devinez !

Je n'ai pas la vanité de croire que les cannes dont vous vous êtes fait l'historiographe suscitent jamais des exaltations de ce genre, mon cher Marsan. Il est plutôt probable que votre spiri­tuelle fantaisie contribuera encore — soyez tran­quille, je ne vous en voudrai pas — à renforcer la légende, d'ailleurs inoffensive, qui a fait jadis et fait quelquefois encore de votre laborieux confrère, auteur de soixante volumes, un préten­tieux auteur mondain. Ce malveillant reproche m'apparente du moins à ce même Balzac, dont ses envieux disaient : « C'est un romancier bourgeois qui se décrasse chez les Duchesses. » Comment ne pas regretter que Sainte-Beuve se soit amusé à colporter ce propos, dont la méchanceté n'est, comme dans la plupart des cas, qu'une inintelli­gence ? Ce qui me plaît, en revanche, dans ces essais, à la première page desquels vous avez si gentiment inscrit mon nom, c'est tout au contraire leur extrême intelligence. Elle vous a permis de discerner les véritables causes de ce goût de la vie élégante, commun à trop d'écrivains pour que la critique ait le droit d'y voir un simple snobisme. Vous avez énuméré et portraituré très finement quelques-uns de ces artistes littéraires touchés de dandysme. Vous auriez pu y joindre Byron, qui jalousait les gilets de Brummell, et insister davan­tage sur Pascal, ensorcelé par les manières du chevalier de Méré. Je semble me contredire. Car on m'a reproché jadis d'avoir qualifié « d'un peu niais » l'hypnotisme de Renan devant Pétrone dont il disait : « L'élégance de la vie est sa maî­trise. » C'est que ce culte de la mode et de ses aristocrates doit être un péché de jeunesse, et que l'auteur de l'Antechrist avait passé l'âge où il est légitime d'attacher une importance à des frivolités qui pour un jeune écrivain de vingt-cinq ans ont une telle signification, ces vingt-cinq ans, dont l'historien de Brummell, le romanesque Barbey, citant Byron, disait avec un accent que je crois entendre encore : « On peut se consoler de tout, quand on s'est consolé de ne plus les avoir. »

Le jeune homme de lettres, en effet — cette observation court sous toutes les lignes de votre livre — voit dans l'attitude aristocratique du dandysme, une défense d'abord. Il se sent, pour parler comme notre Barrès, dont, entre parenthèses, vous avez tracé un profil exquis, « sous l'œil des Barbares ». Sa personnalité, encore inachevée et d'autant plus frémissante, cherche à se distinguer pour se préserver. Ses élégances de tenue lui sont une arme, comme ses paradoxes d'idées. Les uns, et les autres l'affirment dans son effort d'indé­pendance. Tous les théoriciens du dandysme ont souligné ce trait chez les représentants de cette naïve manie : l'orgueil d'étonner et de ne pas s'étonner. Stendhal qui en fut, lui aussi, la victime, — à ses heures, mais sans en être dupe, — s'est amusé à en fixer le code dans les propos que le Russe Korazoff tient à Julien Sorel, dans leurs promenades à cheval autour de Strasbourg : « Ayez l'air à mille lieues de la sensation présente... » On devine de quel ton ce professeur en noeuds de cravates a dû prononcer cette maxime, dont on peut sourire, mais à condition d'y démêler un effort de stoïcisme qui suppose une maîtrise de soi, une volonté, un caractère. Il y a dans la première des Diaboliques, et à l'occasion d'un certain vicomte de Brassard, une assimilation entre la parure chez le dandy et l'héroïsme du soldat. « Ne pas se rendre », s'écrie d'Aurevilly, «toute la question est là. » Vous nous avez raconté avec bien de la justesse dans ce livre, mon cher Marsan, comment pour lui-même toute la question fut toujours là.

Elle n'est pas là uniquement pour l'artiste littéraire qui, à ses débuts, s'engoue de vie élégante. Pourquoi Racine, en qui la vivante et si gaie comédie des Plaideurs révèle un souple génie, capable de peindre avec un relief réaliste les plus vulgaires milieux, n'a-t-il évoqué, dans ses tragé­dies, que des princes et des princesses ? Parce que, la tradition d'alors le voulait ainsi, sans doute. Mais s'y serait-il conformé s'il n'avait pas trouvé, dans ce choix restreint de ses personnages, l'occa­sion d'imaginer des âmes libres de développer plus complètement leurs sentiments, parce qu'étant hors du métier, elles ont le loisir de penser davantage à leurs émotions ? Les romanciers et les drama­turges d'aujourd'hui, épris de psychologie, sont tentés de chercher dans les oisifs et dans les oisives de leur époque un substitut de ces princes et de ces princesses du théâtre racinien. La haute société leur apparaît comme le milieu où leur esprit d'analyse rencontrera les états d'âme les plus complexes. Ont-ils raison ? Pour ce qui me regarde, je l'ai cru autrefois. Il semble bien qu'il y ait là une part d'illusion. Car à cette haute société, il manque ce qui faisait la force du patriciat peint par Racine sous le masque de ses Bérénice et de ses Titus, de ses Hippolyte et de ses Aricie : le privilège du commandement et ses respon­sabilités. Je n'en persiste pas moins à croire qu'un Adolphe employé de commerce ne serait pas tout a fait Adolphe, ni un Dominique industriel, Dominique. Pourquoi d'ailleurs resserrer le champ de la littérature et en exclure le roman mondain, alors que ce genre comporte des chefs-d'œuvre, ainsi la Julia de Trécœur d'Octave Feuillet, ce, délicat chroniqueur du Second Empire, très injus­tement méconnu par Flaubert ? C'est le cas de rappeler la sagace épigramme de Beyle : « De confrère à confrère, les éloges sont des certificats de ressemblance... »

Mais où vais-je, mon cher Eugène Marsan ? je ne voulais que vous dire un merci, qui se trans­forme en une dissertation. C'est que vos essais, avec leur joli ton de détachement, sont le résumé du long travail d'esprit d'un homme passionné d'idées. Vous invitez à réfléchir dans chacune des phrases de ce livre. Le goût de l'ironie vous a fait évoquer l'ancienne et innocente manie de collec­tionneur d'un de vos aînés qui vous estime beau­coup et qui est très fier de votre sympathie d'esprit.. Gardez-la lui je vous prie, et croyez-le votre tout dévoué

PAUL BOURGET.

Royat, 14 Juillet 1923.

dimanche 13 avril 2008

Robert-Louis Stevenson (1850-1894)


  • L'Ile au trésor / R.-L. Stevenson ; traduit de l'anglais par Théo Varlet.- Paris (35 & 37, rue de Seine, 6e) : Fernand Hazan, 1946.- 234 p. : couv. sous jaq. ill. en coul. ; 18 cm.- (Les Heures claires ; 3).

samedi 12 avril 2008

Gustave Aimard (1818-1883)


  • Les Bandits de l'Arizona / par Gustave Aimard ; illustrations de Pierre Noël.- Paris (35 & 37, rue de Seine, 6e) : Fernand Hazan, 1948.- 218 p.-[18] f. de pl. : couv. sous jaq. ill. en coul. ; 18 cm.- (Les Heures claires ; 2).

vendredi 11 avril 2008

Johann von Kremer


  • Le Livre noir des filles perdues / J. v. Kremer.- Paris : Editions Fleuve noir, 1956.- 223 p.- 72 p. de pl., couv. sous jaq. ill. ; 21 cm.

jeudi 10 avril 2008

Anthologie


  • Anthologie du conte fantastique français / par Pierre Castex.- Paris (11 rue Médicis, 6e) : Librairie José Corti, 1947.- 324 p. : couv. ill. ; 19 cm.
    • Il a été tiré de cet ouvrage 45 exemplaires sur vélin Bulky numérotés de 1 à 45 et 5 ex. H.C.

INTRODUCTION

Depuis près de deux cents ans, la Raison a perdu sa royauté littéraire. Au temps de Descartes et de Boileau, elle demeurait vigilante, même lorsque l'œuvre d'art se parait des prestiges du merveilleux : la fable, l'allégorie, la légende même étaient placées sous son contrôle et servaient ses desseins ; quant aux récits de songes introduits dans nos tragédies pour éveiller ou soutenir l'intérêt dramatique, ils semblent construits, observait Nodier, par des hom­mes qui n'ont jamais rêvé. Le romantisme européen a déclenché une révolution dont nous n'avons pas encore mesuré toute l'ampleur ni parcouru toutes les étapes : les artistes et les écrivains, en se donnant comme domaine nouveau d'inspiration les désordres de la vie affective, les illusions des sens, les vertiges de l'imagination, ont renouvelé l'idée qu'on se faisait jusque-là de l'homme. La création esthétique, alimentée surtout par l'expérience subjective, s'op­pose de plus en plus à un idéal d'universelle intelligibilité.

Le fantastique en littérature est la forme originale que prend le merveilleux, lorsque l'imagination, au lieu de transposer en mythes une pensée logique, évoque les fantômes rencontrés au cours de ses vagabondages solitaires. Il est enfanté par le rêve, la superstition, la peur, le remords, la surexcitation nerveuse ou mentale, l'ivresse et par tous les états morbides. Il se nourrit d'illusions, de terreurs, de délires. Aussi, bien qu'il ait fleuri à d'autres épo­ques, semble-t-il répondre tout particulièrement au goût moderne.

Nous voudrions montrer la fécondité de notre génie national, dans ce domaine où l'on a souvent accordé une importance excessive aux influences étrangères. Dès le XVIIIe siècle, Cazotte enfermait une histoire fantastique dans les limites du conte qui, par la brièveté et le naturel, est le genre le plus propre à créer un effet intense. Vers 1830, le fantas­tique connaît une vogue extraordinaire ; il inspire des récits où l'imagination s'exerce agréablement, mais de façon assez gratuite. Bientôt, il est mis au service d'intentions beaucoup plus profondes : la frénésie d'un Lautréamont, la cruauté d'un Villiers, la violence d'un Mirbeau, les hantises d'un Maupas­sant, contrastent avec l'élégance désinvolte de Gau­tier et l'ingéniosité froide de Mérimée, les implaca­bles analyses auxquelles se livre, dans les dernières années de sa vie, un Nerval tourmenté par la folie surprennent celui qui a commencé par lire ses pre­miers récits, écrits en un temps où, cédant à la mode, il adaptait sans grande conviction les con­teurs allemands. Désormais, l'écrivain épanche à travers des symboles grimaçants son génie satirique ou livre un témoignage sur lui-même en évoquant, comme pour les exorciser, ses démons intérieurs ; ou encore, tel Apollinaire au seuil de la mort, il étale sur ses pages hallucinées l'ombre de son propre des­tin.

L'évolution du genre est esquissée dans ce recueil, depuis les précurseurs du XVIIIe siècle jusqu'aux conteurs récents (1). Certes, il ne faudrait pas s'en tenir trop strictement aux cadres que nous propo­sons. Les jeux gratuits de l'imagination ont survécu au romantisme : nous ne saurions guère discerner d'inquiétude profonde dans les contes d'Erckmann-­Chatrian ou de Claude Vignon, dans les anticipa­tions para-scientifiques de Jules Verne ou de Mau­rice Renard ; mais ces récits, quel que soit leur agré­ment, présentent un intérêt littéraire médiocre. En revanche, une certaine cruauté a été à la mode, parmi les représentants de l'avant-garde romanti­que : Nodier en donne une préfiguration dans Smarra et Petrus Borel une image dans ses Contes immoraux ; mais elle revêt presque toujours un ca­ractère d'affectation qui empêche de la prendre au sérieux. D'une façon générale, à mesure qu'on avance dans le siècle, le goût du public devient plus exigeant, l'inspiration des conteurs plus person­nelle ; les spectres, chers aux contemporains d'Hoffmann semblent dérisoires, trente ans plus tard, à une génération que les contes d'Edgar Poe ont fami­liarisée avec un fantastique intérieur, plus intense.

C'est que, si la peur est de tous les temps et de tous les pays, il devient plus difficile de l'éveiller, à me­sure que les hommes deviennent moins naïfs. Les écrivains d'aujourd'hui doivent séduire une imagi­nation plus rétive, qui ne cède franchement qu'à une illusion de réalité parfaite. Ainsi s'explique la mode des énigmes policières, où l'auteur, dans la trame du récit, multiplie les indications concrètes, les détails vécus, et prend soin au dénouement de dissiper toute obscurité : c'est à ce prix seulement que, dans ce genre aux recettes éprouvées, le mys­tère conserve ses vertus d'enchantement.

Serions-nous donc trop blasés désormais pour trouver de l'attrait à un merveilleux gratuit ? Nous ne le pensons pas ; et le succès de tant de films ré­cents prouve qu'il n'en est rien. Le cinéma, il est vrai, grâce au pouvoir de l'image, impose l'illusion plus facilement que ne le feraient les mots du lan­gage ordinaire : il offre ainsi au fantastique naïf une chance d'attacher encore, au moins pour la durée d'une représentation. Les écrivains, eux, ne peuvent plus se contenter d'effets aussi faciles ; mais heureu­sement ils n'ont pas épuisé tant s'en faut, le mys­tère de l'homme intérieur. Les surréalistes l'ont bien compris ; et Julien Gracq, qui évoque dans la préface d'Au château d'Argol les fantômes du roman noir anglais, fait fructifier de nos jours, en l'adaptant au goût contemparain, la tradition fantastique dit XIXe siècle. Conçue selon d'autres méthodes, l'œu­vre de Kafka donnerait lieu à des remarques analo­gues : les hallucinations de ses récits traduisent les angoisses de l'homme moderne.

Nous croyons donc à l'avenir du conte fantastique. Lorsqu'il est cultivé, non par des charlatans qui débitent la terreur comme une marchandise, mais par des écrivains doués d'une vie intérieure profonde, il permet, comme la poésie, d'exprimer ces aspects de l'homme qui demeurent irréductibles à la raison logique. On s'en apercevra, dans les deux cas extrêmes que nous avons cru devoir retenir, en lisant nos extraits d'Aurélia, où l'émotion née du fantastique a été directement et pleinement vécue par Nerval lui-même avant d'être transcrite ; et les dernières pages de l'Enchanteur pourrissant, où Apollinaire abandonne bien vite la fiction narra­tive pour libérer les images nées en tumulte dans les profondeurs de son subconscient. Avec ces deux œu­vres, nous sommes évidemment bien loin des aima­bles récits de Cazotte; et nous avons atteint les limites d'un genre qui, peu distinct, à l'origine, de la féerie, peut offrir dans ses plus belles réussites un intérêt, documentaire analogue à celui dit poème lyrique ou du journal intime.

(1) Nous avons presque toujours reproduit des récits com­plets. Quand l'ampleur de l'œuvre retenue ne nous l'a pas permis, nous avons pris soin d'isoler un épisode qui forme, en lui-même, un tout intelligible. Nous nous sommes abstenu d'emprunter des textes à des écrivains vivants.

mercredi 9 avril 2008

Nicolas Vassiliévitch Gogol (1809-1852)


  • Le Journal d'un fou / Nicolas Gogol ; traduction de Sylvie Luneau.- Paris (35-37, rue de Seine) : Fernand Hazan, 1948.- 57 p. ; 17,5 cm.- (Bibliothèque aldine ; 5).


mardi 8 avril 2008

Pierre Mac Orlan (1882-1970)


  • L'Ancre de Miséricorde / Pierre Mac Orlan ; illustrations de Guy Arnoux.- Paris : Les Editions de la Nouvelle France, MCMLXIV [1944, d'après l'achevé d'imprimer].- 269 p. : ill. en coul., couv. ill. en coul. ; 19 cm.- (La vie exaltante ; 11).
    • De cet ouvrage, le onzième de la collection "La vie exaltante", il a été tiré 500 exemplaires sur vélin blanc numérotés de 1 à 500 destinés à la vente ; 50 exemplaires hors commerce sur le même papier numérotés de I à L.

lundi 7 avril 2008

Ernest Feydeau (1821-1873)


  • Fanny : roman / [Ernest] Feydeau ; [introduction par Auriant].- [Paris (Liège, Imp. Solédi)] : Louis Gérin éditeur, [1947].- 244 p.- 1 f. de pl. en coul. ; 19 cm.
    • Edition identique à celle publiée en 1946 par l'Amitié par le Livre.

INTRODUCTION

Ce n'est pas une précaution superflue que de pré­senter au lecteur l'auteur de Fanny.

Soixante-treize ans après sa mort, Ernest Feydeau n'est guère connu que d'une centaine de personnes qui, plus ou moins, s'intéressent à l'histoire littéraire.

Lui-même n'a presque pas d'histoire, ce qui ne veut pas dire qu'il fut un homme heureux.

Né à Paris, le 16 mars 1821, il vit, étant encore enfant, dans l'atelier de Gavarni, qui habitait la même maison que ses parents à l'angle des rues Fontaine Saint-Georges et Chaptal, quelques-uns des écrivains qui devaient illustrer le siècle. Il enviait leur sort, ne soupçonnant pas l'envers de l'existence des hommes de lettres. Forcé de gagner la sienne, il entra, à l'âge de vingt ans, en qualité d'employé chez le banquier Jacques Laffitte. Coulissier à la Bourse, il fit à ses moments perdus, un peu de littérature, en amateur. Après avoir collaboré au Musée des Familles, édité à ses frais un recueil de poésies, les Nationales, il publia, en 1856, une Histoire des usages funèbres et des sépultures chez les peuples anciens, dont le pre­mier fascicule, consacré à l'Egypte pharaonique, attira l'attention de Théophile Gautier, qui en fit dans le Moniteur un magnifique éloge. Feydeau s'empressa d'aller le remercier, rue Grange Batelière, se lia avec lui et le documenta pour son Roman de la Momie, que le poète d'Albertus, reconnaissant, lui dédia. Gautier, peu après, ayant pris la direction de l'Artiste, l'invita à y collaborer. Rue Laffitte, dans les bureaux de la revue, il fit la connaissance de Flaubert, qui y don­nait sa Tentation de Saint Antoine de Saint-Victor, des Goncourt, etc., qu'il retrouva pour la plupart, le dimanche soir, autour de la table de Mme Sabatier, la Présidente, à qui Gautier le présenta.

Depuis quelques années déjà, Feydeau portait dans sa tête chauve un petit roman conçu sur les thèmes jumelés de l'amant jaloux du mari et du supplice de l'adultère. L'accouchement en était laborieux. En jan­vier 1858, un jour qu'il passait par la rue de la Chaus­sée d'Antin, se rendant à son travail, surpris par une ondée mêlée de givre, il se réfugia sous la porte de l'hôtel du Cardinal Fesch. L'inspiration qui l'avait fui jusque-là le visita soudain. Tirant soit crayon de sa poche, il nota sur son carnet de Bourse ce qu'elle lui dictait :

« La maison est plantée de travers, sur une butte de sable, regardant l'océan de côté, comme si elle se méfiait de lui... »

Debout sous la porte, au milieu d'une vingtaine de passants, qui s'y étaient abrités comme lui, il crayonna le premier chapitre de son roman. Se sentant décidé­ment en train, et la pluie ne discontinuant pas, il héla un fiacre, se fit conduire à la Bourse, s'isola dans le cabinet des commis d'agent de change et il en écrivit le second :

« Si je me suis volontairement exilé dans cette affreuse solitude, c'est parce que, pour mon malheur, j'ai aimé et que j'aime encore... »

Le soir même, il partait pour Aunay, s'enfermait dans une petite propriété qui lui appartenait, et là, dans cette retraite, il acheva aux trois quarts l'histoire de Fanny et de Roger. De retour à Paris, au bout d'une semaine, il rendait visite à Flaubert, boulevard du Temple, et lui contait sa nouvelle.

C'était la confession d'un jeune homme de vingt ans qui a pour maîtresse une femme mariée, son aînée de quinze ans. Neuf en amour et passionné de tem­pérament, Roger devient jaloux de tout ce qui distrait Fanny de sa pensée, jaloux de ses enfants, jaloux surtout de son mari. Il la tourmente de ses questions indiscrètes, la torture par ses soupçons. Il la presse de tout abandonner pour lier sa vie à la sienne. Pen­sant l'y décider, il lui révèle ce qu'il vient d'appren­dre : la liaison de son mari avec une jeune actrice irlandaise. A sa vive surprise, non seulement Fanny refuse de le croire, mais encore elle prend contre lui la défense de son mari. Son jeune amant se persuade qu'elle le trompe avec l'homme qu'il cocufie. Décidé à en avoir le cœur net, il achète à Chaville, où Fanny est allée passer l'été, une maison de campagne contiguë à la sienne. Jour et nuit, derrière ses volets, il monte le guet...

Parvenu à ce point de son récit, Feydeau s'arrêta brusquement. Flaubert le regarda surpris. « Cela tourne court, lui dit-il, il y manque un dénouement. » Feydeau en convint. Pour amener le dénouement, il avait imaginé une scène, mais elle était si risquée que sa plume n'osait la retracer. A la demande de Flau­bert, il l'improvisa.

Une nuit d'août, rongé par la jalousie et n'y tenant plus, Roger, au risque de se rompre le cou, enjambe le balcon de sa maîtresse. Agenouillé sur la dalle, il colle ses yeux contre les deux vantaux mal joints de la fenêtre de sa chambre à coucher. Le mari est là, en bras de chemise, placide, calé dans un siège en cuir et fumant béatement un cigare. Une porte s'ouvre, Fanny apparaît. A demi-vêtue, elle va et vient par la chambre, parle à son mari. Roger devine qu'elle lui reproche sa trahison. Il se défend mollement. Comme elle passe et repasse devant lui, le frôlant avec la pro­vocante coquetterie d'une courtisane, il l'attire à lui, l'assied sur ses genoux, se penche à son oreille et lui demande quelque chose qu'elle est prête à lui accor­der, mais qu'elle feint de lui refuser afin d'exaspérer son désir. Sous les yeux égarés de son amant, elle va rejoindre toute nue son mari dans l'alcôve. C'est plus que le malheureux Roger n'en peut supporter. Il tombe comme assommé du balcon...

Flaubert engagea vivement Feydeau à écrire cette scène, l'assurant que le succès de son livre en dépen­dait. Ce fut aussi l'avis de Gautier, qui admira ce tour de force, mais qui, cette fois, oublia de mettre en garde Feydeau contre son fâcheux penchant « à enchaîner les mots les uns aux autres, ce qui donnait à ce qu'il faisait un tour éloquent qui n'était pas la meilleure forme littéraire », et qui le portait, aussi, à abuser des métaphores, dont il en fourrait jusqu'à quatre dans la même page. Malheureusement pour Fanny, ni Gau­tier, ni Flaubert ne firent, en outre, remarquer à Fey­deau qu'un homme qui se souvient de ses peines d'amour et les ravive avec sa plume est sobre, concis jusqu'à la sécheresse, incorrect peut-être, mais ne pense pas à orner son style, à tourner des phrases poétiques et que le comble de l'art est, en de tels sujets, de n'y point paraître.

On a prétendu que, son étude à peine parue, Fey­deau se précipita rue dit Mont-Parnasse, chez M. Sainte-Beuve, qui lui marquait beaucoup d'intérêt, et s'écria, en brandissant son livre : « Maître, voici un incendie ! »

Ce qui est sûr, c'est que Fanny enflamma M. Sainte-Beuve. Elle lui rappelait sa jeunesse. Elle lui rappe­lait aussi, et surtout, sa bien-aimée Adèle et un épisode de sa vie amoureuse que l'indiscrétion d'Alphonse Karr l'avait retenu de rendre public. La nouvelle de Feydeau s'apparentait à son Livre d'amour comme à certaines idylles de Tennyson, étant presque « un poème par la forme, par la coupe, par le nombre, par un certain souffle qui y régnait d'un bout à l'autre et qui marquait singulièrement dans les paragraphes ou plutôt les couplets du commencement ». En même temps qu'une analyse de la jalousie Feydeau avait donné avec Fanny le poème de l'adultère. Les sen­timents et les émotions de Roger M. Sainte-Beuve les avait connus, et ses angoisses, ses souffrances, son désespoir. Fanny, dans son souvenir, s'identifiait avec Mme Hugo. Elle avait son visage et sa voix.

Elle est là, mon Adèle, oh! je me la figure
Elle est là, je la vois, dans la vague posture
D'une femme qui rêve, étendue à demi,
Le sombre époux l'enferme, elle rêve à l'Ami,
Elle se dit qu'il l'aime et qu'il n'aime qu'elle.


La page où Roger évoque sa maîtresse restée seule, le soir, après le, départ de ses enfants, avec son mari, tandis que la flamme agonise dans l'« âtre », et qui finit sur ces mots : ils étaient époux?, à dix-sept ans d'intervalle, semblait à M. Sainte-Beuve l'écho de ses propres vers :

Adèle ! tendre agneau ! que de luttes dans l'ombre,
Quand ton lion jaloux, hors de lui, la voix sombre,
Revenait usurpant sa place à ton côté,
Redemandait son droit, sa part dans ta beauté,
Et qu'en ses bras de fer, brisée, évanouie,
Tu retrouvais toujours quelque ruse inouïe
Pour te garder fidèle au timide vainqueur
Qui ne veut et n'aura rien de toi que ton cœur.


Pour obtenir d'elle autre chose, qu'il convoitait ardemment, il avait, lui aussi, révélé à Mme Hugo la liaison de son mari avec une actrice, Mlle Drouet. Il y avait, dans l'idylle de Fanny et de Roger, un accent douloureux, déchirant, et je ne sais quoi de trouble et de voluptueux, à quoi M. Sainte-Beuve ne pouvait rester insensible. Feydeau l'étonna fort en lui révé­lant que cette histoire n'avait pas été vécue, mais ima­ginée par lui. M. Sainte-Beuve eût juré, « à la manière réelle, poignante et saignante dont toutes choses y étaient présentées » que l'auteur en avait été le héros. La scène du balcon, par tout ce qu'elle suggérait d'in­timité libertine, l'émoustilla. Passant sur les défauts de l'ouvrage, qui ne le frappèrent pas dans la disposi­tion d'esprit où sa lecture l'avait jeté, il ne marchanda pas à Feydeau les éloges dans son feuilleton du lundi qu'il lui fit l'honneur de lui consacrer, comparant Fanny à Adolphe et la proclamant bien supérieure au roman de Benjamin Constant.

« Les moralistes chrétiens, écrivait-il, ont parlé souvent en termes généraux, mais avec une grande vérité, des misères de la passion et de l'enfer de la jalousie ; on en a ici un exemple à nu, on a un damné qui sort de son gouffre et de son cercle dantesque pour nous faire sa confession atroce et d'une énergie truculente... La naissance, le progrès, les divers temps de ce mal de jalousie, tantôt assoupis et que le moin­dre mot réveille, tous ces degrés d'inquiétude et de torture, jusqu'à la fatale et horrible scène où il a voulu n'en croire que ses yeux et être le témoin de sa honte, sont décrits avec un grand talent, avec un talent qui ne se refuse aucune rudesse métallique d'expression, qui ne craint pas d'étreindre, de violenter les pensées et les choses, mais qui (n'en déplaise à ceux qui n'ad­mettent qu'une manière d'écrire une fois trouvée) a certainement sa forme et son style...

» Le livre flamboie et reluit : c'est l'œuvre d'un artiste ardent. »

En moins d'un mois, la première édition de Fanny se trouva épuisée. La seconde parut avec, sous forme de préface, une longue épître de Jules Janin, vantant à une « honnête femme » les agréments et mérites divers de ce « tout petit livre , livre exquis, éblouis­sant et plein d'abîmes ! » « Fanny, disait-il, c'est la dame annoncée par toutes les écritures de l'amour. Elle est la sœur de la belle Hélène et la sœur de Corinne, amoureuse d'Ovide. »

Ignorant les raisons personnelles et intimes que M. Sainte-Beuve avait de tenir Fanny en si haute estime, les moralistes de la presse avaient peine à comprendre son engouement. Pour ces esprits moroses, pour ces cœurs secs, qui semblaient n'avoir jamais connu l'amour, dont il leur arrivait, parfois de dis­serter, que par ouï-dire, Fanny n'avait nul attrait. Hip­polyte Rigaud, qui n'a pas laissé un nom dans la critique, l'éreinta longuement dans le Journal des Débats. Se voilant la face devant la « pantomime » à laquelle la femme adultère et son mari se livraient sous les yeux de l'amant fou de rage impuissante, « ici », s'écriait ce cuistre, « le silence profond dit le luxe de l'indécence ». Il terminait en déplorant qu'on ne retrouvât nulle part dans l'« étude » de Feydeau « la trace d'une intention morale qui rachète l'immo­ralité flagrante du sujet ». Plus sévère encore, Emile Montégut, aussi oublié aujourd'hui, mais plus injus­tement que Rigaud, écrivait dans la Revue des Deux Mondes : « C'est d'une lecture attristante, mais par compensation monotone et ennuyeuse au dernier degré. Ce livre a cependant un mérite que je ne peux nier, c'est une certaine habileté licencieuse. Les pires atti­tudes secrètes des deux amants sont comme photogra­phiées. »

Cette explosion de vertueuse indignation réjouissait fort M. Sainte-Beuve.

« La Revue des Deux Mondes vient de nous canon­ner avec tous les honneurs du gros calibre, écrivait-il à Feydeau. Avez-vous senti quelque avanie dans la voi­ture ? J'en doute. Fanny est un fin brick qui se rit d'eux — et vous et moi aussi. Et Flaubert pareille­ment que l'article de Rigaud avait fait rugir au com­mencement, puis éclater de rire à la fin.

Les détracteurs de Fanny allèrent à l'encontre de leur but. En insistant pesamment sur son indécence et son immoralité, ils contribuèrent puissamment à sa vogue. Alléchés par tout le mal qu'ils en disaient, les abonnés du journal des Bertin et de la revue de Bulot, à Paris comme en province et à l'étranger, voulurent respirer ce « petit flacon » où, selon Mon­tégut, « étaient enfermées les essences plus ou moins empoisonnées des œuvres applaudies depuis dix ans, la prétention à la moralité et la crudité lascive, les peintures voluptueuses, l'idôlatrie de la matière ».

Les hommes, à l'exception des maris trompés, eurent pour Fanny les sentiments de M. Sainte-Beuve, ceux-là en particulier qui, ayant comme lui aimé une femme mariée, avaient été jaloux du « som­bre » mais débonnaire « lion ». Quant aux femmes, celles surtout que MM. Rigaud et Montégut eussent, sur l'apparence, tenues pour irréprochables et qui, à l'insu du monde, qui ne mettait pas en doute leur vertu, et, bien entendu, de leurs époux, qui y croyaient aveuglément, avaient eu un ou plusieurs amants, elles mouraient d'envie de lire leur histoire, ce roman tant vanté par les uns et diffamé par les autres. Feignant d'en avoir oublié le titre, elles demandaient en rou­gissant aux libraires ce livre qui faisait du bruit et l'emportaient mystérieusement pour le dévorer en cachette. Bourgeoises ou grandes dames, elles enve­loppaient dans la même pitié les deux amants, et si elles plaignaient le romantique Roger, qu'elles enviaient à sa maîtresse, elles se sentaient portées à absoudre Fanny. Plus d'une avait agi comme elle ou, à sa place, ne se fût pas autrement comportée, les femmes, ait plus fort de la passion, perdant rarement la tête, le souci de leurs intérêts, de leur bien-être, de leur respectabilité, s'accommodant parfaitement de l'équivoque, y prenant même un certain plaisir per­vers, à l'encontre de tels de leurs amants qui ne souf­frent pas le partage et que celui-ci fait affreusement souffrir.

La caution de M. Sainte-Beuve évita à Fanny les graves ennuis qu'eussent pu lui valoir les accusa­tions d'immoralité lancées contre elle. Elle intimida la justice, qui ne voulut pas, après l'acquittement, l'année précédente, de Madame Bovary en correc­tionnelle, se couvrir de nouveau de ridicule. Ayant recueilli, comme le constatait M. Sainte-Beuve, « tout cet orage de bruit et de clameurs » qu'Emma avait soulevé, l'héroïne Feydeau éclipsa dans la faveur pu­blique celle de Flaubert. L'éditeur Amyot, à qui il avait vendu son « étude », en tira treize éditions dans l'espace d'un an, alors que Michel Lévy n'en avait tiré que cinq de Madame Bovary. Loin d'en prendre de l'humeur, Flaubert s'en réjouit au contraire pour son ami, au rebours de l'aîné des Goncourt, dont la mine s'allongea. Le canon tonnait à Magenta, comme Maxime du Camp entrait un jour à la Librairie Nou­velle. « Qu'y a-t-il de nouveau ? » demanda-t-il, voulant parler de la bataille en cours. « Il y a, lui répondit Edmond de Goncourt, que la Fanny de Feydeau en est à sa dixième édition et que c'est bien irritant ! »

Connu jusque-là comme archéologue, d'emblée Ernest Feydeau venait de s'imposer comme l'une des « personnalités les plus artistiques de son temps ». Il se croyait aussi artiste que Flaubert, qu'il admirait au point de l'imiter dans sa façon de « gueuler » ses phrases souvent toutes faites, mais surchargées de métaphores pour en apprécier la musique et la sono­rité.

Il se persuada qu'il était assez fort et assez habile pour continuer à mener de front ses deux professions d'homme de lettres et d'homme d'argent, bien que Mirès lui eût conseillé naguère de lâcher celle-ci pour celle-là. « Vous ne réussirez jamais dans les affaires parce que vous manquez de courage », lui avait-il dit, le courage, à la Bourse, consistant d'après lui, à affronter chaque jour le danger de devoir avec la certitude de ne pouvoir payer. Feydeau payait tou­jours ce qu'il devait.

Pour mieux se consacrer à l'art, qui exige, comme le lui disait Flaubert, des mains blanches et calmes, il eût dû quitter la Bouse après un coup d'éclat en publiant une « étude » sur le monde des affaires dont l'importance, avec l'accroissement incessant de l'industrie, se faisait chaque jour plus considérable, et qui jouait un « si atroce rôle », non seulement dans les destinées de son pays, mais dans celles aussi de l'univers. Près de quarante ans de pratique lui avaient permis d'accumuler les observations les plus précises et les plus précieuses. Il connaissait le dessous des cartes biseautées. Il avait été témoin de la rivalité meurtrière — pour les autres — qui avait mis aux prises le baron James de Rotschild et les frères Isaac et Moïse Pereire. Mais sans doute en est-il des secrets de la Bourse comme des secrets d'État : on peut les apprendre, on risque son honneur et quel­quefois même sa vie à les divulguer. Là aussi, Ernest Feydeau manqua de courage et du génie qu'il fallait pour faire concurrence à Balzac. Il entreprit d'autres « études », où, malgré ses prétentions à l'exactitude, la fantaisie avait plus de part que la réalité. De l'une à l'autre, de Catherine d'Overmeire à Daniel et de la Comtesse de Chalis au Lion devenu vieux, il alla en déclinant pour la plus grande joie de tous ses con­frères, qui ne lui avaient jamais pardonné l'éclatant succès de Fanny. Ses amis Gautier et Flaubert s'étaient un peu trop hâtés de lui dire qu'il était un homme et un gars. Feydeau n'était qu'un brave homme, dont l'imagination, oscillant entre le senti­ment et la sensualité, versait souvent dans l'éro­tisme. Il apparut de plus en plus qu'il n'avait pas en lui l'étoffe du grand écrivain que M. Sainte-Beuve avait cru pressentir.

La Bourse avait ruiné Feydeau, la littérature ne l'enrichit pas. Le malheur s'abattit sur lui. Frappé, en 1869, d'apoplexie et de paralysie partielle, il eut une fin de vie misérable. Il expira à Paris le 28 octo­bre 1873.

De la vingtaine d'ouvrages qu'il publia, seule Fanny lui a survécu, à qui il n'a peut-être manqué, pour être un petit chef-d'œuvre impérissable, que d'un peu moins flamboyer et reluire.

AURIANT.

dimanche 6 avril 2008

Vercors (1902-1991)


  • La Marche à l'étoile / Vercors.- Paris : Aux éditions de Minuit ; Bruxelles : La Renaissance du livre, MCMXLIII [1943].- 89 p. ; 17 cm.
    • Les volumes de la présente collection, en tous point conformes à ceux publiés par les Editions de Minuit , sous l'oppression, constituent l'édition publique réservée à la Belgique par un accord conclu avec les Editions de Minuit. Elle a été limitée à 2000 exemplaires numérotés. Exemplaire n°274.
    • Ce volume publié sous l'oppression aux dépens de quelques lettrés patriotes a été achevé d'imprimer à Paris le jour de Noël 1943.
    • Copyright by Editions de Minuit 1946. Imprimé en Belgique, à la Maison Desoer, Liège.

samedi 5 avril 2008

Henri Murger (1822-1861)


Scènes de la vie de bohème / Henry Murger ; [aquarelles de Jean Dratz].- Paris (144, avenue des Champs-Elysées) : Editions Nilsson, [1930].- 251 p.-6 f. de pl. en coul. : couv. sous jaq. ill. en coul. ; cm.- (Coll. Lotus).


vendredi 4 avril 2008

Curiosa


  • Le prêtre chatré ou le papisme au dernier soupir.- Réimpression textuelle faite sur l'édition rarissime et unique de La Haye, 1747, et précédée d'une notice bibliographique et historique.- Genève : chez J. Gay et fils, 1868.- XII-48 p. ; 16 cm.- (Raretés bibliographiques).
    • Raretés bibliographiques : Réimpressions faites pour une société de Bibliophiles, à cent exemplaires numérotés, 96 sur papier de Hollande et 4 sur papier de Chine, plus deux sur peau de vélin. Exemplaire n°97.



NOTICE SUR LE PRÊTRE CHATRÉ

Voici un ouvrage bien rare et que bien peu d'amateurs ont eu l'occasion de voir, car depuis soixante ans, à la vente de Méon où il fut adjugé pour dix francs, jusqu'à ce jour, à peine en a-t-il paru un autre exem­plaire dans les ventes publiques et l'on ne le rencontre pas davantage même dans les bibliothèques les plus complètes.

On consulterait inutilement le Dictionnaire des Anonymes de Barbier pour chercher à en connaître l'auteur. Nos recher­ches pour découvrir quelques traces du texte original dans les bibliographes anglais, sont demeurées infructeuses ; cependant, nous croyons en effet qu'il y a là une tra­duction. On ne peut y méconnaître cette ironie empreinte de l'humour britannique dont Swift donnait à cette époque un exemple dans son Modeste projet pour rendre utiles les enfants pauvres ; ce projet consistait tout simplement à les engraisser pour les man­ger ensuite. De nos jours, on a publié à Lon­dres, sous le pseudonyme de Malchus, une autre sombre facétie du même genre ; il s'agit d'un appareil pour faire mourir, sans aucune douleur, les nouveaux-nés dont le trop grand nombre amène dans la popula­tion un accroissement, objet d'effroi pour le célèbre économiste Malthus et ses disciples : mais personne ne prit au sérieux l'idée de Swift, tandis que nous avons vu, il y a vingt ans, la proposition du soi-disant Malchus signalée dans de graves écrits comme un symptôme aussi sérieux qu'épouvantable des maux qui frappaient la société anglaise.

A défaut de renseignements bibliogra­phiques sur ce petit ouvrage mystérieux, nous pourrions petit-être examiner diverses questions historiques au sujet de l'eunuchisme des ecclésiastiques ; on sait que, chez les Grecs et les Romains, les prêtres de Cybèle étaient soumis à la castration ; une secte des premiers siècles du christianisme recommandait également cette pratique comme un acte religieux et elle conserve encore quelques adeptes clans la Russie mé­ridionale ; mais tout ceci exigerait des déve­loppements qui ne seraient pas à leur place en tête de l'opuscule si court que nous re­produisons. Cependant, pour allonger un peu notre notice, nous demanderons la per­mission de reproduire ici quelques passages d'une lettre que la question du célibat des prêtres a engagé un jeune papiste de nos amis à nous écrire :

« ... Si Pougens vivait encore, je lui au­rais signalé un mot à ajouter dans son Vo­cabulaire de nouveaux privatifs français. Si les Directeurs de l'Imprimerie du Cercle So­cial font des petits, je donnerai volontiers trois livres 10 sous de part contributive pour une nouvelle édition du Vocabulaire priva­tif dans laquelle figurera le mot Incocu, pri­vatif naturel, nécessaire et logique du mot Cocu. Car si la chose ou l'individu existe, il doit y avoir un mot pour l'exprimer. Or, puisqu'il y a des gens, qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être cocus, pour les dénom­mer il faut créer le mot INCOCUS.

« Assurément, tout homme marié est susceptible d'être Cocu ; tout célibataire qui a donné sa parole d'honneur à sa maîtresse et a reçu d'elle sa foi, peut également devenir cocu. Une seule classe d'hommes dans le monde entier peuvent rendre Cocus leurs voisins, sans avoir jamais à craindre de l'être eux-mêmes, car aucun lien charnel ne doit les attacher... sur la terre.

Depuis longtemps, les membres de cette classe ont fait pas mal de cocus ; ce qui ne les empêchait pas d'aspirer ardemment à obtenir d'être susceptible de le devenir eux-mêmes. Çà n'a pas pris. Mais je laisse la parole au grave de Thou (Histoire univer­selle, livre XXXVI), dont le témoignage ne peut être suspect pour qui que ce soit ; sans quoi, j'en appellerais tout droit au Concile de Trente lui-même :

« Maximilien (empereur d'Allemagne) écrivit le 28 novembre au pape (Pie IV), pour lui demander de relâcher quelque chose de la sévérité qu'on observoit ce qui concerne le mariage des prêtres.

« On ne peut nier, disait-il, que dans la primitive Eglise, en Occident, comme en Orient il n'ait été libre et permis aux prêtres de vivre dans le mariage, jusqu'au temps de la défense faite par le pape Calixte. C'est pourquoi, comme la nature humaine est fragile, que tout homme est porté au mal dès sa plus tendre jeunesse, que la chair est l'aiguillon du péché, que la voye de la continence est étroite et difficile, qu'il y en a peu qui ne sentent l'aiguillon de la chair et que le feu de la concupiscence est tel qu'il nous dévore pour nous perdre, Denis, évêque de Corinthe, avertit sagement Pinythe, son suffragant, de ne pas imposer à ses frères le fardeau du célibat comme une chose nécessaire, mais d'avoir égard à la faiblesse et à l'infirmité du plus grand nombre.

« Que si cet avis a paru alors sage et digne du saint homme qui le proposait, si la conduite qu'il inspirait a paru nécessaire pour conserver d'un côté la bienséance et l'honnêteté et de l'autre pour condescendre à la faiblesse et à l'infirmité des hommes, combien est-elle plus nécessaire dans ce malheureux siècle où à peine s'en trouvera-t-il un seul dans un grand nombre qui vivent chastement dans le célibat, où presque tous sont publiquement débauchés et impudiques au grand danger des âmes et au scandale des peuples ? Outre cela, il y a une grande disette de prêtres, parce que le mariage leur est défendu, les écoles de théologie catholiques sont vuides et chacun, au mépris des évêques, court à celles des protestans. Etc.

« Quelques fortes que fussent ces raisons, quelques pressants que fussent ces besoins, et quelques instances que l'empereur fit, il fut impossible de rien obtenir du pape. »

« Eh bien, dans cette grave affaire, qui se fourrait le doigt dans l'œil ? C'était l'empe­reur Maximilien. — Et qui y voyait clair ? C'était le pape Pie IV, qui avait hérité des lunettes du pape Calixte.

« En effet, des archevêques anglais, alle­mands, russes, peuvent être cocus ; des grands rabbins peuvent être cocus ; des rois et des empereurs sont cocus : un pauvre dia­ble de vicaire, de diacre catholique être cocu ? Jamais de sa vie ! Quel admirable privilège ! Quelle radicale différence entre la nature ecclésiastique catholique et la na­ture humaine du reste des mortels ! Quel prestige !

« Si l'Église catholique est la seule de l'univers dont les ministres ne peuvent, quoi qu'on fasse, être cocus, elle le doit aux Calixte et aux Pie IV, et jamais elle ne saurait trop honorer leur mémoire.

« Messieurs les protestants ont protesté et protestent de toutes leurs forces contre ce grand privilège. Ils prouvent tant qu'ils peuvent que la papauté ne demande pas aux prêtres et aux moines de s'abstenir de femmes, mais seulement de ne pas se marier. Les Inconvénients du célibat des prêtres (Ge­nève, 1781, in-8°) remarquent, page 356 et suivantes, que les évêques, les synodes, les conciles, les papes ont toujours toléré chez les prêtres, le concubinage et l'adultère avec les femmes mariées ; et que tous les rois de l'Europe successivement (à l'exception peut-être des seuls rois d'Espagne), voyant que le but apparent du célibat des prêtres était d'en faire une milice étrangère aux États qui la payaient et uniquement aux ordres de la cour de Rome, ont toujours demandé, mais en vain, qu'il leur fut permis de se marier et de devenir cocus comme tout le monde. C'est même parce que Rome s'y est obstinément refusée que la Réforme a été favorisée par plusieurs princes et que le protestantisme s'est établi dans beaucoup d'endroits.

« Mais ces braves protestants, s'ils s'i­maginent parvenir à l'emporter sur le pape, sont dans une erreur complète, et ils se met­tent le doigt dans l'œil aussi bien que le fai­sait tout à l'heure l'empereur Maximilien. Transformez cette admirable unité cléricale du catholicisme, en une multitude de cocus menés, sans s'en douter, par le bout du nez par mesdames leurs épouses, et vous détruisez la religion elle-même. Ainsi, qu'est-il arrivé pour le protestantisme ? A mesure qu'il s'est étendu, il s'est divisé, il s'est affaibli. Parmi les protestants, quelques-uns, comme les méthodistes, les piétistes, etc., ap­préciant mieux leur position que les autres, se rapprochent de plus en plus du bercail, où comme l'Enfant prodigue, ils vont re­venir un de ces jours solliciter leur pardon, lequel leur sera certainement accordé, mais à la condition sine qua non, de revenir au cé­libat. »

jeudi 3 avril 2008

Léon-Alpinien Cladel (1834-1892)


  • Petits cahiers / de Léon Cladel ; eau-forte de L. Lenain.- Bruxelles (25, rue royale) : Henry Kistemaeckers, MDCCCLXXIX [1879].- 142 p.-[1] f. de pl en front. & [4] p. de fac-sim. + [6] p. de prospectus ; 14,5 cm.
    • Tirage à 200 exemplaires sur papier vergé et 100 exemplaires sur papier du Japon véritable.
    • Contient : Paul-des-Blés ; l'Ancêtre ; Une Maudite ; Chez les Morts ; La Générale à la Jambe de Bois ; Bêtes et Gens.



PROSPECTUS

Librairie Henry KISTEMAECKERS

BIBLIOGRAPHIE

L'HOMME QUI TUE !
(Les Bureaux arabes sous le second Empire)
par
X.X.X.

Tome Ier. — Le Ventre de Lalla-Fathma.
Tome II. — L'Assaut des Lupanars.
2 volumes in 16 (format charpentier). Prix : 6 francs.

Voici comment le critique Georges Gerber s'exprime au sujet de ce livre dans la Révolution française, du 17 floreal an 87 (Mardi 6 avril 1879) :

Quand on écrit une oeuvre comme celle que nous allons étudier, où tout lion serait fier d'apposer sa griffe et d'empreindre son sceau — ainsi que le dit Léon Cladel dans une magnifique préface — pourquoi ne pas la signer ?... Je ne veux pas dévoiler la puis­sante personnalité qui se dérobe sous le triple anonymat X. X. X. à qui nous devons déjà le Roman du Curé — dont j'aurai à parler un jour — mais je dois dire ici que l'auteur, dans ces pages émouvantes, a fait entendre la voix de la vraie France.

L'Homme qui Tue! les Bureaux Arabes sous le Second Empire, tel est le titre du livre dont nous parlons. Cela en dit assez ; on voit de quoi il est question.

L'auteur a passé de longues années en Algérie, rapière au côté, pistolets dans les arçons, fusil braqué sur le Kabyle. Dans cette Algérie qui nous appartient, parce qu'en un jour de mauvaise humeur le dey Hussein frappa de son chasse-mouches M. Delval, consul de France. Dans ce pays où nous voulons à toute force faire pénétrer notre civilisation à l'aide du pillage et des massacres. X. X. X. c'est le soldat pacifica­teur et civilisateur. Lui s'intitule : l'Homme qui Tue ! Et alors il nous narre ses faits et gestes.

Cet ouvrage est bien moins un roman qu'un feuillet sanglant de l'histoire des nations qui, sous le fallacieux prétexte de civiliser des sauvages, sont parties à la conquête de peuples peu soucieux d'être conquis, se sont mises en campagne pour asservir des pays qui ne demandaient qu'à vivre tranquilles et libres. Donc, récalci­trants, on vous civilisera quand même. Et pour cela, tous los moyens seront bons.

Dans la forme, l'Homme qui Tue est violent, mais d'une violence nécessitée par le récit même des épisodes qui s'y trouvent. L'auteur n'a pas fait du naturalisme — puisque le mot est à la mode — pour l'amour du naturalisme. Il a vu, il raconte. Le mot est crû parfois et peut frapper désa­gréablement le tympan du bourgeois dodu et satisfait ou du damoiseau en quête de bouquins littéraires et malpropres, tant pis !

Ce livre n'est pas écrit pour eux. Il est fait pour nous qui voulons la vérité, nue ou voilée, peu nous importe, mais la vérité tout entière. Les tableaux se déroulent à nos yeux, saisissants. On frémit d'indigna­tion ou d'horreur, mais on est empoigné. Et de redoutables points d'interrogations se dressent. On se dit : Est-il possible ? La soldatesque en furie pille, tue, vole, viole. On se rend maître de la retraite Le Ventre de Latta Fathma au bruit du clairon ; mais on monte à l'Assaut des Lupanars de la porte Djebbia, au cri de : Vive l'empereur ! et au chant du Pou et de l'Araignée. Bon Dieu ! à de telles scènes, on ne croirait pas, mais c'est un revenant qui nous les raconte, et il y a joué son rôle comme les autres.

De ce livre puissant d'originalité où tout vit, fourmille, où, à chaque instant, vous recevez en plein visage les éclats de rire stridents des filles de joie et les jurements des troupiers, de cette œuvre brûlante et sauvage comme les déserts de la Kabylie, que ressort-il ? Quelle conclusion tirer ?

L'auteur n'a pas seulement eu pour but de nous faire toucher du doigt la façon dont on colonise l'Algérie. Après avoir été l'Homme qui Tue, il est devenu l'homme qui pense. D'abord soldat ; philosophe ensuite. La moralité qui se dégage nettement de son oeuvre est celle-ci : L'homme de guerre se trouve placé, par la force des choses, entre sa conscience d'honnête homme et ses devoirs de soldat. Qui l'em­portera ?

Une grande question se pose : si l'obéis­sance passive doit tuer la conscience, si le soldat doit détruire le citoyen, n'est-il pas urgent que la Révolution porte son fer rouge dans le métier de l'Homme qui Tue ?

Qu'on ne s'y méprenne point ; agiter ce redoutable problème, ce n'est pas s'atta­quer directement à l'armée — et quand cela serait ? — c'est signaler une affreuse plaie de notre société, c'est tout simplement dé­clarer la guerre à la guerre. De tels ouvrages se recommandent à l'attention et à la médi­tation de tous les hommes sérieux.

Georges GERBER.