lundi 17 décembre 2007

Paul Morand (1888-1976)


  • Ouvert la nuit / par Paul Morand.- Paris (3, rue de Grenelle, 6e) : Editions de la Nouvelle Revue Française, 1927.- 152 p. ; 23 cm.- (In-octavo ; 1).
    • Il a été et sera tiré de la présente édition de cet ouvrage, le premier de la collection in octavo, trois cent vingt-cinq exemplaires sur papier de Hollande Pannekoek filigrané "à la gerbe" marqués de A à Z (hors commerce) et de 1 à 300 ; et des exemplaires sur "chiffon de Bruges" filigrané "à la gerbe" en nombre illimité numérotés à partir de 301. Exemplaire n°1706. Un frontispice gravé à l'eau-forte de M. Chagall a été tiré à cent vingt épreuves.

Préface à la présente édition


Les préfaces ont leur utilité ; ce sont des bouteilles à la mer. Si les romantiques n'avaient pris ce soin, qui sait si l'on retrouverait leurs traces ? L'ai-je assez en­tendu dire, que le temps naufrageait les livres ! Certes, ils sombrent tous, mais peut-être les plus légers des­cendent-ils moins vite aux abîmes, puisque me voici, après cinq printemps, encore occupé d'« Ouvert la Nuit » ?

Notre jeunesse,– à nous qui voyons aujourd'hui poindre la quarantième année, — fut coupée en deux par l'express du 2 août 1914. Nous ne pûmes, à l'armistice, qu'en ra­masser les morceaux : ils étaient encore bons et se recol­lèrent très bien. Mais ce n'était qu'une seconde jeunesse : une façon très consciente d'en jouir, un goût forcené de l'heure présente l'indiquaient assez ; autre preuve enfin que les vers s'y mettaient : nous en fîmes un livre. Ce livre ne fut pas, comme l'ont cru nos aînés, le cri joyeux d'un début de vie, mais bien une épitaphe. Une épitaphe sans larmes. Ceux qui nous suivaient ne s'y sont pas trompés ; « Ouvert la Nuit » leur a été utile comme une conclusion, tirée à point, et encore buvable. Delteil, Beucler, qui ont un grand talent et une forte personnalité, nous l'ont écrit. Et cependant nous eussions très bien compris qu'ils nous détestassent. Ravel disait avec beaucoup de raison aux jeunes musiciens du groupe des Six : « Il faut me haïr ». Je compte bien leur laisser la place le plus vite possible (et à Aragon, à Montherlant, à Drieu, ces bons athlètes). La carrière d'un écrivain moderne doit être désormais courte et violente, comme celle d'une pugiliste.

Encore qu'« Ouvert la Nuit » ne soit pas celui de mes livres que je préfère, je crois que, né en pleine crise d'inflation européenne, il arrivera cependant à se stabi­liser. Tant d'industriels de lettres continuent à vivre au­jourd'hui encore de ses sous-produits que j'ai l'impres­sion d'avoir fait là, si non un bon livre, du moins une bonne action. Enfin, « Ouvert la Nuit » m'a donné l'hor­reur des grands bars ; le goût de la campagne, du silence, du lit à neuf heures du soir ; et peut être un certain respect pour les choses du cœur. Volontiers, je m'adresse ici à moi-même un adieu ému.

PAUL MORAND.
Mai 1927